Critique : Madeleine Collins

Judith mène une double vie entre la Suisse et la France. D’un côté Abdel, avec qui elle élève une petite fille, de l’autre Melvil, avec qui elle a deux garçons plus âgés. Peu à peu, cet équilibre fragile fait de mensonges, de secrets et d’allers-retours se fissure dangereusement. Prise au piège, Judith choisit la fuite en avant, l’escalade vertigineuse…

Madeleine Collins
France, 2021
De Antoine Barraud

Durée : 1h42

Sortie : 22/12/2021

Note :

QUI EST QUI ?

« Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd la raison », nous prévenait Eric Rohmer en exergue de son film Les Nuits de la pleine lune. Dans Madeleine Collins, Virginie Efira possède bel et mieux deux maisons et deux époux, mais également deux noms différents (dont aucun n’est Madeleine Collins, ironiquement). Chacune de ses deux vies a l’air tout à fait normale, presque banale à vrai dire, mais le va-et-vient entre les deux n’est jamais expliqué. Cette femme qui vit à cheval sur la frontière, aux sens propres et figurés, est-elle folle ? Manipulatrice ? C’est précisément ce non-dit têtu qui installe au cœur du récit un point d’interrogation de plus en plus grand, un suspens particulièrement appétissant.

Madeleine Collins trempe un orteil vers le fantastique sans y plonger complétement. A défaut de faire d’Efira une héroïne lynchienne aux multiples identités, il la transforme plutôt en mystérieuse blonde hitchcokienne en cavale, et c’est déjà un cadeau gigantesque, pour nous comme pour Efira, dont l’interprétation nuancée et terre-à-terre à la fois atteint à nouveau des sommets. A force de peiner à maintenir le cap de son embarcation qui tangue de façon maboule, son personnage menace de nous épuiser à notre tour, mais c’est alors le film entier qui prend l’eau et perd délicieusement la raison.

A force d’amusant cailloux dans la chaussure, Madeleine Collins nous invite à entrer une drôle de danse, plus singulière que le film à suspens en décors feutrés que l’on croyait regarder. Il y a d’abord ce casting iconoclaste (Jacqueline Bisset, Valérie Donzelli et Nadav Lapid), puis la présence insistante et presque artificielle de la musique, des bruits de baleine venus d’on ne sait où, et des coups de théâtre férocement outranciers tout droits sortis de Fedora. Sans jamais tomber dans la parodie, Madeleine Collins change lui aussi de visage et passe l’air de rien du drame psychologique à la fantaisie bourgeoise, en passant même par le cartoon. Dans ce contexte zinzin, la ligne de dialogue la plus anonyme devient une énigme ubuesque (« C’est qui ? C’est personne »).

Antoine Barraud (lire notre entretien) décortique une psyché féminine avec un ton bien particulier qui combine sérieux, étrangeté, sens du grotesque assumé et cruauté presque moqueuse. Une formule qui pourrait servir de définition au terme camp. Madeleine Collins est camp à mort, et c’est bien sur un gigantesque compliment, surtout dans le paysage du cinéma français où le registre est bien trop rare. La recette rappelle même l’une des maitresse du genre : la romancière Ruth Rendell, dont l’œuvre à été adaptée dans plus d’un délice queer ou crypto-queer (En chair et en os, Une nouvelle amie, La Cérémonie), et qui a même servi d’inspiration malicieuse pour le personnage de Charlotte Rampling dans Swimming Pool. L’autrice n’est pas citée ici, mais le film n’a pas besoin d’une telle référence pour briller de sa chatoyante bizarrerie.

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par Gregory Coutaut

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