Critique : Les Années Super 8

« En revoyant nos films super huit pris entre 1972 et 1981, il m’est apparu que ceux-ci constituaient non seulement une archive familiale mais aussi un témoignage sur les goûts, les loisirs, le style de vie et les aspirations d’une classe sociale, au cours de la décennie qui suit 1968. Ces images muettes, j’ai eu envie de les intégrer dans un récit au croisement de l’histoire, du social et aussi de l’intime, en utilisant mon journal personnel de ces années-là. » – Annie Ernaux

Les Années Super 8
France, 2022
De Annie Ernaux & David Ernaux-Briot

Durée : 1h01

Sortie : 14/12/2022

Note :

LES ANNÉES

Les Années Super 8 est le premier long métrage d’Annie Ernaux et de son fils David Ernaux-Briot, mais les fragments qui le constituent existent depuis des décennies. C’est effectivement un film de montage à partir de bobines familiales, tournées pendant 10 ans, de l’après-68 à l’aube des années 80. Les Années Super 8 est en apparence une toute petite chose – un film familial comme d’autres films familiaux, sur à peine plus d’une heure. Mais ce que les images saisissent d’un moment, ce qu’elles racontent ou omettent de raconter, et le regard aujourd’hui posé sur elles sont parfaitement passionnants.

Il y a, dans Les Années Super 8, ce qui est capté d’une époque. Ce peut être une lampe désormais vintage, un papier-peint qui ressemble à un décor, un vinyle d’Annie Cordy enfoncé dans un mange-disque, un sapin de Noël qui semble inévitablement échappé d’une photo de Diane Arbus. A plus large échelle, lorsqu’on sort du cocon familial, il y a l’essor du tourisme dans les années 70 : qu’est-ce que la caméra saisit d’un voyage au Chili, de la dimension politique qu’il revêt, d’un pays qui après le basculement politique n’existe plus de la même façon ? Qu’est-ce que la caméra peut bien montrer d’un voyage en Albanie où, dit-on, le réel est inatteignable ?

C’est en grande partie ce qu’explore le film familial devenu documentaire : on filme, certes, mais que peut-on raconter ? L’arrivée de la caméra, à l’époque « objet désirable par excellence », est un événement. Mais que peut-on en faire ? On filme les premières fois. On conserve ce qui est beau, on imprime les souvenirs. Un minigolf, des premières vacances à la neige. Mais l’image reste une création. Ernaux parle de happening théâtral lorsque la caméra se braque sur les membres de la famille. L’Ardèche est renvoyée à l’imaginaire de Jean Ferrat. L’Annie Ernaux qui commente en voix-off raconte l’Annie Ernaux à l’image parfois comme s’il s’agissait d’une autre, d’un personnage. C’est aussi ce dédoublement que le film raconte avec une grande finesse.

Quelle réalité se cache derrière les images ? Personne ne sait, en regardant cette jeune femme à l’écran, que celle-ci est en train d’écrire son premier roman. Personne ne voit, sur les films, le couple qui se disloque. Ce qui se trouve dans les ellipses, d’un film de Noël à l’autre. C’est un réservoir d’histoires par omission – une démarche à la fois cousine et inverse du formidable My Mexican Bretzel de l’Espagnole Nuria Giménez. Les Années Super 8 est poignant précisément par ce qu’il ne raconte pas, ou alors en pointillés. La caméra accompagne les débuts, mais que faire de la fin ? Que se passe-t-il quand la caméra ne cherche plus à « filmer le bonheur » ? Ces années seront déterminantes pour l’autrice Ernaux, mais tout cela reste hors du cadre.

On retrouve un certain nombre d’éléments de l’écriture d’Ernaux dans ce récit. Cette façon de dévoiler avec une simplicité confondante les mécanismes sociaux derrière les phénomènes qu’on pourrait croire seulement intimes. Ce ton factuel et doux qui accompagne des analyses perçantes. Ce sentiment d’intimité partagée, de confidence. Des confidences effectivement car une fois les films récupérés, l’autrice devient la gardienne de l’histoire familiale. Et si Les Années Super 8 ne remet pas entièrement en question son schéma (Ernaux co-réalisant d’ailleurs ce film avec son fils), il examine de manière bouleversante et profonde ce qui constitue la fiction familiale.

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par Nicolas Bardot

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