Critique : Le Grand mouvement

Après une marche de sept jours avec ses compagnons, le jeune Elder arrive dans la grande ville, cherchant à être réintégré dans son travail à la mine. Grâce à la vieille femme Mama Pancha, Elder et ses amis trouvent un emploi sur le marché. Mais l’état d’Elder empire, il s’étouffe et a du mal à respirer. Ses amis se cotisent pour l’aider, mais le médecin dit qu’il n’y a pas de remède. Mama Pancha, très inquiète pour Elder qui se meurt, le met en contact avec Max, un sorcier-ermite, qui va essayer de ramener le jeune homme à la vie.

Le Grand mouvement
Bolivie, 2021
De Kiro Russo

Durée : 1h25

Sortie : 30/03/2022

Note :

UN ÉCLAIR DANS LE BROUILLARD

Le Grand mouvement s’ouvre par un plan stupéfiant, un long zoom sur la ville de La Paz qui commence d’on ne sait où dans le ciel (sommet d’un immeuble, d’une montagne, d’un drone ?) et qui s’avance de façon implacable vers les façades géantes et anonymes de la cité. L’échelle de ce regard est si immense et si implacable qu’il évoque d’emblée quelque chose d’inhumain : des caméras de surveillance ou un bien un œil divin. Scrutée de façon si inéluctable (a-t-on déjà vu une ville filmée de la sorte ?), la capitale bolivienne n’a pas l’air de réserver beaucoup de place non plus pour l’Homme. Elle ressemblerait plutôt à un dédale anxiogène où plane une indicible menace. « La ville va être réduite en poussière », nous prévient d’ailleurs l’un des personnages.

Plutôt qu’une issue de secours, c’est une porte d’entrée qu’Elder est venu chercher à La Paz. Affaibli par une maladie qui l’essouffle, il cherche à retrouver son emploi à la mine avec l’aide de la vieille Mama Pancha. Le film ne met pas de guillemets sur les dures conditions de vie des travailleurs marginaux, ainsi que sur leur lutte pour une reconnaissance politique. Mais à la manière de Lav Diaz ou Eduardo Williams, le cinéaste bolivien Kiro Russo (lire notre entretien) fait preuve d’un talent de mise en scène rare pour la parabole, pour donner à une réalité sociale l’étoffe d’un mythe.

Changements d’échelles, surgissement musicaux, anamorphoses sonores, raccords et cadrages qui laissent pantois… tout en conservant un rythme placide à l’exigence maousse, Le Grand mouvement enchaine les fulgurances formelles. A mesure qu’Elder s’épuise mystérieusement, le film nous coupe également le souffle en changeant de peau tel un reptile. En quittant la ville pour la jungle, la chronique contemplative se transforme progressivement en prophétie fantastique sans âge. Ces images lentes au grain artificiel ressemblent alors à un secret, une langue codée qui nous parviendrait d’on ne sait où, on ne sait quand. Quels autres films peuvent se vanter de provoquer un tel vertige ?

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par Gregory Coutaut

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