Critique : La Camarista

Eve, une jeune femme de chambre travaille dans un luxueux hôtel de la ville de Mexico. Pour trouver la force et le courage nécessaires d’affronter sa monotonie quotidienne, elle s’évade à diverses fantaisies à travers les objets personnels laissés par les invités de l’hôtel.

La Camarista
Mexique, 2018
De Lila Avilés

Durée : 1h42

Sortie : 17/04/2019

Note :

LE CHÂTEAU

Un tremblement de terre peut bien passer inaperçu dans La Camarista, premier long métrage très prometteur de la Mexicaine Lila Avilés (lire notre entretien). C’est précisément l’histoire que raconte la jeune cinéaste : comment le monde d’une femme de ménage travaillant dans le luxe feutré d’un hôtel chic est imperceptiblement ébranlé par cette machine conçue pour la broyer. Eve range et nettoie silencieusement, replie les draps avec méthode. La blancheur du linge et le vide des chambres mettent peu à peu en valeur l’étrangeté de ce monde à la fois quotidien et en apesanteur.

On croit deviner le drame social classique, mais Lila Avilés n’a pas peur des surprenantes ruptures de ton. L’incongru, la comédie et le malaise s’invitent dans ce curieux décor filmé de manière fascinante. L’hôtel est mis en scène comme un château avec ses codes, ses castes, ses lieux interdits. C’est une vertigineuse mini-société où tout le monde a quelque chose à vendre et où l’on peut faire de l’argent avec n’importe quoi (ou faire n’importe quoi avec son argent). Eve croit en les règles de cette organisation mystérieuse, comme si celle-ci allait in fine lui donner une place dans la ville et dans le monde. Le constat du long métrage est plus amer.

Lila Avilés est très habile dans son art du symbole et du sous-entendu. La violence contenue crée un trouble – comme lorsque l’héroïne nettoie du sang dans une baignoire sans jamais qu’une explication ne soit envisagée. On est à ses côtés dans ce monde clos, une fenêtre sur le monde qui offre un panorama incroyable – mais qui ressemble aussi à une prison. Du lieu réaliste, celui du labeur quotidien, on arrive à un étrange lieu abstrait, dans les nuages, hors-sol. « Ça fait deux ans que je bosse dans l’ascenseur » déclaré une collègue comme enfermée dans un enfer drolatique à la Roy Andersson. Et les cours pour s’en sortir ont lieu en cachette, dans un sous-sol.

C’est aussi comme cela que s’exerce la violence sociale, supposant que ces petits employés n’ont pas à avoir de vie à l’extérieur du château ou de vue au-delà des désirs de ceux qui les emploient. Voilà le puzzle que Eve tente d’assembler, à l’image du design de la dernière chambre d’hôtel que la jeune femme inspecte et qui ressemble au décor d’un dernier niveau de jeu vidéo. Le film, plus ambitieux qu’il n’y paraît, est une excellente surprise qui révèle une cinéaste à suivre de très près.

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par Nicolas Bardot

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