Festival de Vesoul | Critique : Just Like That

Après la mort de son mari, Mme Sharma se doit de rester une épouse respectable. Son fils et sa famille, qui vivent avec elle, ne doutent pas qu’elle fera des sacrifices pour les aider financièrement. Mais Mme Sharma n’a absolument aucune intention de le faire. Au lieu de cela, elle tente ce qu’elle n’a jamais fait auparavant – essayer des produits de beauté, aller dans un centre commercial, aller au cinéma ou se mettre à la broderie…

Just Like That
Inde, 2019
De Kislay Kislay

Durée : 1h58

Sortie : –

Note :

MAMIE FAIT DE LA RÉSISTANCE

L’une des premières répliques de Just Like That fait référence à une veuve qui, lorsqu’elle a perdu son époux, a dû effectuer… vingt fois le tour de la montagne à pieds. Le premier long métrage du jeune Indien Kislay Kislay (lire notre entretien) met immédiatement les pieds dans les mille absurdités qu’on exige des femmes. Tout le monde ainsi s’attend à ce que la vénérable grand-mère, héroïne du long métrage, vive avec dignité la perte de son mari. Finalement, elle va manger une glace, aller au cinéma, faire de la broderie… mais c’est, semble t-il, déjà trop dans une société gangrenée toutes générations confondues par la masculinité toxique.

Le quartier de Mme Sharma paraît endormi. Elle-même semble un peu là et plutôt ailleurs. C’est un personnage pas si bavard, plutôt dans l’instrospection… mais peut-être a t-elle seulement appris à se taire. Car dans Just Like That, exprimer ses désirs quand on est une femme, c’est être « têtue ». Kislay Kislay fait d’abord le portrait d’une société qui refuse de regarder la violence en face. Just like that, c’est comme ça et pas autrement. Cela installe une étrange distance, une curieuse indifférence : le grand-père est décédé mais tout cela est vite évacué, la voisine est en pleurs mais on s’en fiche, un gamin est mort mais passons à autre chose, les programmes TV catastrophistes sont regardés d’un œil distrait – les castes, le karma, l’ordre établi, c’est ainsi et il n’y a rien à y faire.

La seconde partie, plus amère, est un basculement. Car tout en parlant de la même chose, Kislay montre que les victimes sont toujours les femmes. Il raconte avec finesse leurs existences secrètes, nocturnes, clandestines. « Des fois, je me promène la nuit » chuchote t-on comme une confidence. « Faire ce qu’on veut est un luxe qu’on ne peut pas se permettre » : l’idée étant que tout désir d’émancipation féminine, comme d’entraide féminine, doit être étouffé. Belle idée : des interludes constitués de vieilles photos permettent de mesurer le temps écoulé et l’innocence perdue. Mme Sharma passe devant un autocollant publicitaire vantant ironiquement la « meilleure maman au monde ». Le film évolue avec nuances entre la comédie tendre et le drame plus noir. Le film est trop long, mais son propos est fort et son regard, d’abord doux, est finalement assez mordant – dans Just Like That, la vache sacrée est brisée, ou bien elle finit seule à manger des ordures.

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par Nicolas Bardot

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