Critique : Joyland

A Lahore, Haider et son épouse cohabitent avec la famille de son frère au grand complet. Dans cette maison où chacun vit sous le regard des autres, Haider est prié de trouver un emploi et de devenir père. Le jour où il déniche un petit boulot dans un cabaret, il tombe sous le charme de Biba, danseuse sensuelle et magnétique. Alors que des sentiments naissent, Haider se retrouve écartelé entre les injonctions qui pèsent sur lui et l’irrésistible appel de la liberté.

Joyland
Pakistan, 2022
De Saim Sadiq

Durée : 2h06

Sortie : 28/12/2022

Note :

MANÈGE ENCHANTÉ

Joyland est le nom d’un authentique parc d’attractions de Lahore, la capitale du Pakistan. Pour les personnages du film, c’est un havre de paix, une parenthèse enchantée hors des devoirs de leur vie quotidienne. Le protagoniste, Haider, a beau être un brave garçon marié à la femme qu’il aime, sa vie n’est pas une fête foraine. Dans sa maison, toute sa famille vie en communauté sous le regard de son père qui prend très au sérieux son rôle de patriarche. Ce dernier reproche au timide Haider de ne pas savoir égorger une chèvre, de ne pas ramener assez d’argent, d’avoir autorisé sa femme à conserver son travail ou de ne pas lui donner de petits-enfants, bref de ne pas s’acquitter des tâches masculines traditionnelles.

Son épanouissement, Haider va bel et bien le trouver dans un nouveau travail, mais pas celui espéré par son père. En découvrant par hasard le monde des cabarets, il se fait engager comme danseur de Biba, une performeuse trans qui rêve de devenir tête d’affiche. Dans ce nouvel univers aux couleurs chatoyantes, aux ombres et lumières travaillées (une qualité esthétique à souligner) les ingrédients d’une comédie romantique clignotent telles les excitants néons d’un manège : Haider et Biba tombent effectivement vite amoureux.

Pour son tout premier long métrage (après avoir remporté un prix à Venise en 2019 avec son court Darling, dans lequel l’actrice trans Alina Khan jouait déja), le cinéaste pakistanais Saim Sadiq fait preuve d’une certaine finesse d’écriture. Vivant, Joyland parvient à éviter le piège de suivre le mauvais personnage. Babi n’est ni sacrifiée ni réduite à un rôle secondaire dans la vie d’un homme. Grâce à une structure narrative qui gagne en ambition et en complexité, le film accorde autant d’importance aux deux amoureux ainsi, et c’est plus inattendu, qu’à la femme d’Haider. Cette histoire d’amour pourrait avoir l’air convenue mais le regard que Sadiq, lui-même homosexuel, pose sur ses personnages est nuancé et contemporain.

Joyland peint un portrait plus large que celui d’un simple triangle amoureux. Il file la métaphore d’un système patriarcal dont personne ne sort vainqueur, un système qui transforme en fantômes celles et ceux qui y obéissent. Avec une style direct mais pas naïf, l’attachant Joyland a conscience que les moments vécus en dehors sont aussi magiques et brefs que des tours de montagnes russes, mais à l’amertume de la descente, il a l’élégance de nous inviter à la grisante euphorie de la montée.

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par Gregory Coutaut

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