Festival de Cannes | Critique : Journal de Tûoa

Journal de Tûoa a été tourné sous régime de confinement, au Portugal, entre août et septembre 2020. C’est aussi un film de fiction. Impossible de le résumer sans en dire trop. Nous avons donc choisi de reproduire un paragraphe d’un conte de Cesare Pavese, Le Diable sur les collines : « L’orchestre reprit mais cette fois sans voix. Les autres instruments se turent et il ne resta que le piano qui exécuta quelques minutes de variations acrobatiques sensationnelles. Même si on ne le voulait pas, on écoutait. Puis l’orchestre couvrit le piano et l’engloutit. Pendant ce numéro, les lampes et les réflecteurs, qui éclairaient les arbres, changèrent magiquement de couleur, et nous fûmes tour à tour verts, rouges, jaunes. »

Journal de Tûoa
Portugal, 2021
De Miguel Gomes, Maureen Fazendeiro

Durée : 1h38

Sortie : 14/07/2021

Note :

DEUX GARÇONS UNE FILLE TROIS POSSIBILITÉS

Il y a une grande séduction à l’œuvre dans les premières scènes du nouveau film de Miguel Gomes, réalisé à quatre mains avec Maureen Fazendeiro. Un charme mystérieux qui tient au fait qu’on ne sait alors pas très bien où et quand nous sommes. Le grain de l’image évoque les années 70 (le chef opérateur Mário Castanheira accentue ce qu’il avait déjà proposé par exemple sur le séduisant John From de João Nicolau), mais il ne s’agit pas que de cela. En quelques micro-scènes éparpillées telles les pièces d’un puzzle par encore assemblé, Journal de Tûoa évoque déjà psychédélisme et ménage à trois, bâtissant les prémices d’une utopie de poche qui nous fait de l’œil.

Dans la torpeur estivale de leur jardin d’Eden personnel, une fille et deux garçons (dont le beau Carloto Cotta, vu entre autres dans Tabou et Diamantino) brisent momentanément leur oisiveté pour construire tant bien que mal une volière à papillons. La limpidité de cette phrase ne rend pas justice au fait que le menus éléments narratifs nous sont ici donnés avec parcimonie, mais aussi avec l’amusement privé de qui prend plaisir à mener son auditoire par la bout du nez. Le problème est que ce plaisir-là n’est pas très contagieux de nature. A leur manière, Gomes et Fazendeiro ont eux aussi bâti une jolie cage, et on se retrouve avec l’impression grandissante que c’est eux qui nous regardent en train d’essayer de déchiffrer leur rébus de film.

Regarder Journal de Tûoa c’est comme être invité à jouer à un jeu dont on refuserait sciemment de nous expliquer la règle. Avec ses ellipses, son jeu temporel, son basculement inattendu dans le réel, sa forte ambition de mélanger le politique et le fabuleux (à la manière des 1001 nuits), le film aurait largement de quoi être généreux avec nous. Paradoxalement, les cinéastes se payent le culot de nous offrir du vide. C’est sacrément étonnant à quel point un film aussi court et aussi riche en niveaux de lecture peur contenir autant de vide. Ce n’est plus seulement le doux farniente du mois d’août que l’on ressent alors nous aussi, c’est l’ennui des longues journées où les jeux et l’ivresse ne servent que de cache-misère. Journal de Tûoa est un film qui charme, cela reste vrai, mais c’est aussi un film qui minaude beaucoup et n’offre rien de plus qu’un clin d’œil. Un film d’allumeur, mesquin et agaçant.

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par Gregory Coutaut

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