Festival Kinotayo | Critique : Inland Sea

Le crépuscule d’un village sur le point de disparaître.

Inland Sea
Japon, 2018
De Kazuhiro Soda

Durée : 2h02

Sortie : –

Note : 

VERS LA LUMIÈRE

C’est, d’une certaine manière, dans un illustre lieu de cinéma que le documentariste japonais Kazuhiro Soda (Théâtre 1 et 2, Campaign 1 et 2) se rend pour filmer son nouveau film, Inland Sea. Car à Ushimado, deux films d’un des plus grands réalisateurs japonais, Shohei Imamura, ont été tournés: Pluie noire et Dr Akagi. Soda revient poser sa caméra dans une petite ville dont on contemple aujourd’hui le crépuscule. « Rien n’est plus beau que ce qu’on a sous les yeux et qui s’apprête à disparaître« , entendait-on dans le dernier Naomi Kawase, Vers la lumière. C’est exactement le principe appliqué par Kazuhiro Soda parti filmer avec une bienveillance infinie un monde qui, peut-être dans 10 ans, 15 ans, 20 ans, n’existera plus du tout.

Lorsque Soda se promène à Ushimado, on a parfois l’impression qu’un sort a été jeté sur la ville, qu’on se retrouve dans une version inversée des Révoltés de l’an 2000 (et son île qui n’est plus peuplée que d’enfants) où seuls les plus âgés sont encore là, debouts. Soda observe, considère d’ailleurs sa démarche comme celle d’un cinéma d’observation. On observe ce vieux vieux bonhomme qui ne sait plus lui-même s’il a 76 ou 86 ans, mais qui pourtant est encore debout en pleine nuit pour pêcher. On suit cette vendeuse de poissons qui fait 20 ans de moins que l’âge qu’elle n’ose plus avouer, on suit cette dame aux chats à la frêle silhouette, on suit cette autre qui fleurit les tombes. On a parfois l’impression d’avoir atterri dans les meilleures pages de Manabé Shima, l’attachant carnet de voyage dessiné par Florent Chavouet.

Mais il y a aussi une vraie noirceur dans Inland Sea, une noirceur qui a simplement la politesse de ne pas trop se montrer. Le cinéaste filme des ancêtres qui travaillent encore très dur, avant le lever du soleil – on assiste de A à Z au travail de la pêche, à une étonnante sorte de vente à la criée, au passage des clients plus tard un à un. Au passage des chats aussi, qui viennent croquer un poisson. C’est mignon parfois, c’est aussi brutal. Le film parle en creux de la manière dont les vieux sont traités ou abandonnés, confrontés à un monde qui semble avancer sans eux. Mais ils sont là et Soda les regarde. Les maisons ne sont plus abandonnées seulement parce qu’on les quitte, mais parce que les gens, tous vieux, meurent. C’est dans un monde bientôt gagné par les fantômes que le cinéaste nous invite, mais dans lequel il y a encore ici ou là quelques lueurs. Son film, témoignage précieux, est une véritable merveille.

par Nicolas Bardot

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