Critique : In Fabric

La boutique de prêt-à-porter Dentley & Soper’s, son petit personnel versé dans les cérémonies occultes, ses commerciaux aux sourires carnassiers. Sa robe rouge, superbe, et aussi maudite qu’une maison bâtie sur un cimetière indien. De corps en corps, le morceau de tissu torture ses différent(e)s propriétaires avec un certain raffinement dans la cruauté.

In Fabric
Royaume-Uni, 2018
De Peter Strickland

Durée : 1h58

Sortie : 20/11/2019

Note :

DESSINONS LA MORT

Quel mystère se cache derrière le bonheur mortifère des publicités pour vêtements ? Quel est la nature du pouvoir magique que possèdent les belles vitrines de magasins ? Peter Strickland (lire notre entretien), dans In Fabric, filme les robes comme des amulettes, les boutiques comme des temples. Ce n’est pas le prétexte à un quelconque sous-texte politique sur le consumérisme, c’est avant tout un moyen, par l’incongru, d’inviter l’étrange et le fantastique. Et si cette fois c’était une simple robe qui était possédée?

Voilà le pitch à la fois fascinant et absurde du réalisateur britannique, qui peu à peu construit l’une des filmographie les plus singulières du cinéma contemporain. Si les robes empoisonnées ont réellement existé, le principe de la robe maléfique a assez peu été exploité au cinéma. Strickland filme amoureusement les plis et mouvements fluides du vêtement, avec ce fétichisme déjà à l’œuvre dans son hypnotique The Duke of Burgundy. La robe est parfois filmée comme celle de Rétribution de Kiyoshi Kurosawa, une correspondance souterraine fort à propos dans ce film hanté et pourtant sans fantôme.

La mise en scène, la photo, les décors, les costumes, tout jusqu’à la petite musique de clavecin tient du travail d’orfèvre dans In Fabric. L’une des surprises du long métrage est également son ton : à la fois sérieux comme un pape jusqu’au ridicule, et totalement fun, rempli d’un humour pas dupe. Cet équilibre grotesque et virtuose fait merveille dans ce récit aux figures et à la structure originales. Dans combien d’autres films d’horreur le personnage principal (joué par Marianne Jean-Baptiste, formidable) est une femme noire de 50 ans ? C’est un détail parmi bien d’autres dans ce long métrage qui décide de raconter autrement. On change de point de vue, on change de registre, on pose des questions et on ne distribue guère de réponses. Tout le monde fait du 36 dans le monde absurde de In Fabric, et ce n’est pas la seule délicieuse absurdité de cette farce narrant une aliénation surréaliste.

Si son décrochage dans le dernier tiers n’est pas la partie la plus réussie du film, son dénouement est excitant, spectaculaire et d’une grande ampleur dramatique. C’est un conte amusant et un sort envoûtant, par un réalisateur qui sait comment chérir le mystère – dans la pénombre des coulisses, dans le regard vide d’un mannequin en plastique – et nous immerger dans le ravissement de son film-monde.

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par Nicolas Bardot

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