DVD | Critique : J’étais à la maison, mais…

Alors qu’il avait totalement disparu, Phillip revient à la maison au bout d’une semaine, blessé au pied, sans aucune explication ni un mot pour sa mère, Astrid. Profondément affectée et avec l’aide d’un professeur de Philip, elle cherche à répondre à des questions a priori insolubles : où était-il passé ? À quoi a-t-il bien pu vouloir se confronter ?

J’étais à la maison, mais…
Allemagne, 2019
De Angela Schanelec

Durée : 1h45

Sortie : 05/01/2022 (18/05/2022 en dvd)

Note : 

CHASSEURS SOLITAIRES

Dans un monde idéal, le sidérant talent de mise en scène d’Angela Schanelec (lire notre entretien) serait célébré au même titre que ceux de Lucrecia Martel ou Claire Denis. D’où vient le malentendu qui l’empêche d’avoir déjà accès à une large reconnaissance? Outre les clichés tenaces liés au cinéma allemand, il y sans doute autre chose. Vous avez remarqué comme les films de réalisatrices ne sont jamais aussi bien accueillis et relayés que lorsque qu’ils correspondent à un certain cliché? D’un « film de femme » on attend  quelque chose de domestique, par exemple un film sur les enfants, les petites choses de la vie, le quotidien. Celles qui s’en détournent doivent payer le prix d’une certaine marginalité. Or de loin, le cinéma de Schanelec a l’air de parler de tout cela. De loin, ses films ont l’air réalistes et humbles. Et plus on s’en approche, plus se révèlent leur profonde énigme, leur violente étrangeté et leur ambition qui déborde franchement du cadre.

C’est déjà presque le programme annoncé par ce superbe titre, en forme d’hommage à Ozu : J’étais à la maison, mais. Sous-entendu : comme les animaux sauvages filmés en introduction, mon film n’est pas domesticable. Qui est le Je en question ici? Philippe, 13 ans, qui revient au foyer familial après avoir disparu plusieurs jours en forêt? Ou bien sa mère, Astrid, qui dès le départ a l’air métaphysiquement à coté de ses pompes? Ou encore la petite sœur de Philippe, dont on oublie toujours un peu la présence ? Nous étions tous à la maison, au même moment ou non, mais. Nous étions une famille, mais. « C’est quand même dingue qu’on parte du principe qu’on va forcément se comprendre les uns les autres » balbutie Astrid, peu après avoir risqué la crise de nerfs rien que parce que ses enfants voulaient la caresser dans une scène hallucinante.

Dans J’étais à la maison, mais…, il est beaucoup question de parole empêchée, que celle-ci soit handicapée, refoulée, ou encore répétée sans joie, comme ces paroles de chansons ou ces monologues de théâtre qu’on ânonne sans trop y croire. Surtout, pas un dialogue explicatif ou psychologique à l’horizon ici. Adepte de l’épure factuelle, Angela Schanelec est sans doute la plus radicale des cinéastes issus du mouvement déjà radical de l’Ecole de Berlin (elle fut d’ailleurs – avec Thomas Arslan et Christian Petzold – à l’origine du mouvement, il y a plus de 20 ans).

Encore plus que chez les autres Berlinois, sa mise en scène stupéfiante donne à la moindre image quotidienne une force profondément magnétique. Rien que par sa composition, son découpage, chaque séquence irradie d’un mystère à la fois âpre et tendu, alors même qu’il parait ne rien se passer de particulier. Paradoxalement, cette angoissante incapacité à dialoguer normalement amène par moments le film vers la frontière de l’humour, comme dans cette incroyable scène de dialogue de sourds répété jusqu’à l’hypnose, devant un graffiti disant… YOLO. 

Comme dans le magnifique Contre ton cœur de Teresa Villaverde, avec qui J’étais à la maison, mais… partage plus d’un point commun, le film possède derrière ses apparences ultra-réalistes une dimension fantastique.  Tout commence comme un conte raconté en douce : un petit matin, une cabane dans les bois, et déjà un puissant silence qu’on n’ose pas déranger. Un silence comme un cocon fragile ou un secret à préserver. Et à plusieurs moments, cette image récurrente du cinéma de Schanelec : un corps féminin endormi dans le bois, de façon presque trop propre pour être vraie. Astrid fuit-elle réellement sa famille pour aller dormir à la belle étoile ? Y songe-t-elle seulement ?

Ces détails oniriques dessinent en arrière-plan la piste d’un imaginaire féminin secret en forme d’issue de secours intérieure. Cette solitude souhaitée et bienfaisante est l’antidote à celle, violente, imposée par les rôles que nous impose la société, aussi arbitraires que ceux d’une pièce de l’école. Je suis une maman, mais… Je suis une femme au foyer, mais…


>> J’étais à la maison, mais… est désormais disponible en dvd, dans une édition qui comprend également le long métrage Ma vie lente et le moyen métrage Tout un été à Berlin

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par Gregory Coutaut

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