Critique : Harmonium

Dans une discrète banlieue japonaise, Toshio et sa femme Akié mènent une vie en apparence paisible avec leur fille. Un matin, un ancien ami de Toshio se présente à son atelier, après une décennie en prison. A la surprise d’Akié, Toshio lui offre emploi et logis. Peu à peu, ce dernier s’immisce dans la vie familiale, apprend l’harmonium à la fillette, et se rapproche doucement d’Akié.

Harmonium
Japon, 2016
De Koji Fukada

Durée : 1h58

Sortie : 12/08/2021 (reprise)

Note :

LEÇONS D’HARMONIE

Koji Fukada (lire notre entretien) a été invité pour la première fois à Cannes avec son quatrième long métrage, Harmonium. Il appartient à une nouvelle génération de cinéastes japonais qui ont entre 35 et 45 ans, parmi lesquels on peut compter Katsuya Tomita, Ayumi Sakamoto ou Ryusuke Hamaguchi. Ce ne sont pas les jeunes réalisateurs qui font le plus de bruit actuellement, mais ils comptent pourtant parmi les nouveaux talents les plus remarquables et prometteurs du cinéma mondial. On se réjouit donc qu’une porte aussi grande que celle de Cannes s’ouvre à l’un d’eux, alors que le festival est connu pour son conservatisme – a fortiori sur les cinéastes asiatiques.

Koji Fukada est, de plus, sélectionné pour de bonnes raisons. Après deux intéressants premiers films (l’inédit Hospitalité et Au-revoir l’été) auxquels on peut ajouter le moyen métrage animé La Grenadière, Fukada a passé un niveau supplémentaire avec son fascinant Sayonara, un petit chef d’œuvre apocalyptique situé dans le Japon post-Fukushima et qui sortira cette année en France. Harmonium confirme certes le talent du cinéaste, il confirme aussi que Fukada ne se répète jamais. Après l’animation expérimentale, la comédie grinçante, le récit d’apprentissage et la SF, le Japonais signe un mélodrame bigger than life – d’une ampleur qu’on ne voit d’ailleurs pas immédiatement venir.

Yasaka rend visite à Toshio sur son lieu de travail. Yasaka est présenté de façon lapidaire comme « un vieil ami ». Toshio l’engage et l’héberge. L’intrus s’installe à la maison… Sorte de remake de Hospitalité dont le postulat était voisin ? Harmonium est tout l’inverse. Dans la première scène, qui montre la fillette de la famille faire ses gammes sur l’harmonium de la maison, un métronome est posé et continue de battre le rythme même quand la musique s’arrête. Réglé et imperturbable. Il va pourtant se passer quelque chose qu’on n’attendait pas – et qu’on ne vous dévoilera évidemment pas. De manière assez ironique, Tadanobu Asano est d’abord filmé comme un fantôme, un peu comme l’an passé où il incarnait dans Vers l’autre rive un authentique revenant. Il apparaît comme une tache blanche, immobile. Fukada, dont la mise en scène faisait déjà quelques clins d’œil au film de fantôme dans Sayonara, filme une seconde fois, un peu plus tard, l’acteur comme un spectre : la séquence est magnifique et exprime le vacillement de la raison des personnages, poussés au bord d’un précipice existentiel.

Harmonium parle du passé qui frappe à la porte, secrets et culpabilité sous le bras. Deux photos de « famille » sont prises à deux moments clefs du film : mais il s’est passé quelque chose entre les deux. Une réminiscence du robot de Sayonara trouve ici un écho tristement humain. Et Fukada évoque un certain cinéma coréen lorsqu’il se lance dans l’über-mélo à la Lee Chang-Dong ou le chemin de croix symbolique à la Kim Ki-Duk. Ce qui à première vue semble parfaitement réaliste dévie ici ou là par l’onirisme – on a parlé déjà de fantômes, on pourrait évoquer ce finale aquatique sublime, ces rues étrangement vides qui entourent la maison familiale ou encore l’usage ambivalent de la lumière. Le résultat, sombre et poignant, n’apporte aucune réponse complaisante quant aux drames auxquels la famille est confrontée : bousculée, abimée mais pas forcément condamnée.

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par Nicolas Bardot

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