Festival Mannheim-Heidelberg | Critique : Genus Pan

Trois hommes chassent un trésor dans la jungle, mais l’appât du gain va réveiller la bête qui sommeille en eux et les faire sombrer dans la folie.

Genus Pan
Philippines, 2020
De Lav Diaz

Durée : 2h37

Sortie : –

Note :

MONKEY ME

Les premiers plans de Genus Pan sont blancs d’un soleil écrasant. Moins chaleureux qu’aveuglant, ce soleil semble préfigurer le poids de la fatalité prête à broyer les protagonistes, transformant les plaines en un horizon aride où il n’y a nulle part où fuir ou se cacher. La caméra ne tarde pourtant pas, comme à son habitude chez l’auteur de Norte, à s’enfoncer dans la forêt. Une fois de plus magnifiée par l’œil de Lav Diaz, la jungle philippine est un symbole dont la richesse parait intarissable : celui d’un inconscient collectif, d’une Histoire refoulée, une amnésie, un coffre à trésor rempli de mythes et de monstres plus ou moins humains. Une fois encore, parmi ces branchages s’ouvrent des portes vers d’autres dimensions.

Les films de Lav Diaz se ressemblent, mais jusqu’à un certain point seulement. A la fois historien et conteur, il est également un cinéphile éclectique. Après avoir amené à son univers les codes de la science-fiction (Halte) ou de la comédie musicale (La Saison du diable), il utilise ici ceux des films noirs. Trois marginaux vont s’unir pour aller récupérer un magot dans une île hostile presque inconnue des hommes. La chasse au trésor commence avec enthousiasme pour les gaillards et leur code d’honneur, mais leurs égos virils vont être mis à rude épreuve par leurs coups bas et la folie qui les guette.

Genus Pan épouse de façon étonnante la règle théâtrale des trois unités, chroniquant la montée d’angoisse de ces personnages coupés du monde, perdus dans un décor sans fin et sans frontière, où tout est semblable. La tension monte sur ces terres qu’on dit hantées par une Histoire violente de colonialisme et de contrebande. Parler du passé rend nerveux. Entendre un singe peut rendre fou. Croire voir un cheval c’est déjà avoir perdu de vue le monde rationnel pour entrer dans celui des croyances et des mythes. Le genus pan du titre, c’est le nom scientifique des chimpanzés et bonobos, soit la case avant l’humain dans l’histoire de l’Évolution. Une case vers laquelle régressent les protagonistes, devenant des créatures d’instinct et de pulsions, au cerveau moins développé. Humains dehors, singe dedans.

Lav Diaz pose une question similaire à celle de Frederick Wiseman dans son dernier documentaire City Hall (également présent à la Mostra) : comment hérite-t-on d’une Histoire violente ? Une fois passée la folie, une fois passés les évènements monstrueux réels ou figurés, qu’est-ce qu’on en fait ? Comment se reconstruit-on ? La réponse de Diaz est plus allégorique et moins optimiste que celle de Wiseman. Même après avoir traversé le miroir, ses personnages sont condamnés à une ronde maudite de traumatisme et d’impuissance, errant littéralement sur des chemins de croix où les dix commandements servent de panneaux de signalisation. Derrière l’idée désespérée que la vérité n’est qu’une légende de plus, Genus Pan est une élégie d’une inoubliable beauté.

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par Gregory Coutaut

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