Champs-Elysées Film Festival 2019 | Critique : Fourteen

Mara et Jo sont amies depuis qu’elles ont quatorze ans. Mara est sérieuse, tandis que Jo attire les ennuis. Les années défilent entre petits boulots, drogue, larmes et grossesse.

Fourteen
Etats-Unis, 2019
De Dan Sallitt

Durée : 1h34

Sortie : –

Note : 

NOS TENDRES ANNÉES

Fourteen, soit quatorze ans, c’est l’âge auquel Mara et Jo se sont rencontrées pour ne plus se quitter. Des années après, les fondations de leur amitié sont si solides qu’elles sont davantage fidèles l’une à l’autre qu’aux pauvres mecs qui leurs servent de copain. Ces derniers ne peuvent qu’assister de l’extérieur à cette relation fusionnelle où elles se racontent tout au téléphone, où elles peuvent débarquer l’une chez l’autre en pleine nuit sans que cela pose problème. Pourtant la vie n’est pas un éclat de rire pour ces filles-là qui galèrent avec leur jobs moisis et trimbalent leur spleen blasé dans les rues de Brooklyn.

Des jeunes filles décalées, cyniques et attachantes qui errent dans New York et sa banlieue? On pourrait se croire en plein sur les terrains battus et bien connus du mumblecore, cette famille de comédies intellectuelles gentiment névrosées. On y croit d’autant plus que Jo, à la limite du vocal fry, marmonne (= to mumble) effectivement ses répliques. Mais quelque chose cloche. Les discussions semblent demeurer sans grands enjeux, le rythme est d’une torpeur suspicieuse et l’humour peine à percer autant qu’on s’y attendrait. Il plane sur cette histoire comme une froideur et surtout une étrange âpreté qu’on croirait provenir de Corée, plus que de Manhattan. Comme si la folie douce menait peu à peu à quelque chose de franchement plus déprimant, à la folie tout court.

Puis, ce qui ne sautait pas tout de suite aux yeux se dessine de façon plus visible : sans que les indices à l’écran ne soit fragrants, on comprend qu’entre chaque scène il se passe de plus en plus de temps. Quelques minutes seulement au début, puis des semaines, puis des mois… Les vies de Jo et Mara prennent des chemins différents. Cela pourrait n’être qu’un simple gimmick de scénario mais Fourteen refuse de façon radicale les raccourcis mélodramatiques, et continue de ne nous montrer que des scènes de discussions quotidiennes, au coin d’une rue, dans un café, mais surtout de plus en plus au téléphone.

Et paradoxalement, c’est en suivant cette voie-là que le film va devenir de plus en plus sombre et de plus en plus émouvant. Dans les interstices entre ces discussions de plus en plus artificielles, dans les ellipses et les non-dits, Fourteen fait le portrait d’une amitié qui se désagrège avec une tristesse infinie, d’un naufrage affectif d’une éprouvante amertume. Le résultat brille d’un éclat rare qui brise le cœur.

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par Gregory Coutaut

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