Critique : Plumes

Une mère passive, dévouée corps et âme à son mari et ses enfants. Enfermée dans un quotidien monotone, rythmé de tâches banales et répétitives, elle se fait aussi petite que possible. Un simple tour de magie tourne mal pendant l’anniversaire de son fils de quatre ans et c’est une avalanche de catastrophes absurdes et improbables qui s’abat sur la famille. Le magicien transforme son mari, un père autoritaire, en poule. La mère n’a d’autre choix que de sortir de sa réserve et assumer le rôle de cheffe de famille, remuant ciel et terre pour retrouver son mari. Luttant pour sa survie et celle de ses enfants, elle devient peu à peu une femme indépendante et forte.

Plumes
Égypte, 2021
De Omar El Zohairy

Durée : 1h52

Sortie : 23/03/2022

Note :

OU SONT LES HOMMES?

Mère à la discrétion presque fantomatique, l’héroïne de Plumes est comme une domestique dans son propre foyer (si tant est qu’on puisse d’ailleurs appeler foyer un logis aussi spectaculairement peu accueillant) : toujours une tâche à faire, un enfant à prendre dans ses bras, et en silence s’il vous plait. Les hommes de la maison débordent suffisamment d’énergie comme ça. Mari maladroit aux cadeaux ridicules, son époux possède derrières ses gestes trop nerveux un cœur de père aimant. Or suite à un importable tour de magie, ce papa poule va se retrouver transformé pour de bon en volatile.

L’excellente idée du film consiste à ne jamais vraiment traiter ce coup de théâtre comme sortant de l’ordinaire. Dans un effet comique grinçant, maman conserve au contraire son visage mutique et accablé d’épouse habituée aux andouilleries qui tournent mal. Si Plumes repose sur un tour de passe-passe surréaliste, on ne peut effectivement pas dire que le quotidien des protagonistes ressemble à un conte de fées. Leur masure en semi-ruines se situe non pas à côté mais quasiment dans une usine qui leur crache littéralement leur fumée au visage. C’est l’unique horizon de ce village qui ressemble, sinon, à un gigantesque terrain vague. Le cinéaste égyptien Omar El Zohairy fait d’ailleurs preuve d’un talent certain au moment de transformer ces décors industriels en tableaux crus et tendus à la fois.

Plumes n’est pas un film arty-misérabiliste, et ce n’est pas non plus une farce pittoresque qui fait chaud au cœur. Le film trouve sans hésiter un ton propre et singulier, ironique et triste à la fois, se payant même un sacré culot : celui d’être parfois inconfortable. Il y a bel et bien de l’humour mordant dans le film (comme cette reprise cruelle du thème de Love Story), mais il y plane également le poids étrange d’une malédiction. Loin d’être délivrée, l’héroïne se retrouve en effet plongée dans un dédale administratif et un absurde tourbillon de galères supplémentaires. Mais plutôt que d’en faire une statue de mère courage ou de la filmer de dos dans son parcours, la caméra préfère se focaliser sur des objets et décors vides, créant d’étonnantes natures mortes où l’humanité n’a presque plus sa place.

La clé de voûte du succès de Plumes tient sans doute dans le fait qu’on ne peut pas trop aisément dire de quoi il parle, de quoi il est exactement la métaphore (patriarcat, obscurantisme religieux, mesquinerie humaine ?). À travers cette maison familiale transformée en poulailler chaotique, Omar El Zohairy dépeint avec nuances une société égyptienne en forme de freak show, un labyrinthe où aucune main n’est tendue gratuitement, voire tendue tout court.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article