Critique : Évolution

D’un souvenir fantasmé de la Seconde Guerre Mondiale au Berlin contemporain, Évolution suit trois générations d’une famille marquée par l’Histoire. La douleur d’Eva, l’enfant miraculée des camps, se transmet à sa fille Lena, puis à son petit-fils, Jonas. Jusqu’à ce que celui-ci brise, d’un geste d’amour, la mécanique du traumatisme.

Évolution
Hongrie, 2021
De Kornél Mundruczó

Durée : 1h37

Sortie : 18/05/2022

Note :

ESCAPE ROOM

La séquence d’introduction de Pieces of a Woman ne sera pas restée longtemps la séquence la plus virtuose de la filmographie de Kornél Mundruczó. Celle d’Évolution laisse pantois, évoquant en un vertigineux clin d’œil les chorégraphies fiévreuses de Jonathan Glazer ou la SF post-apocalyptique de Stalker. Or cette séquence repose sur de tels effets de surprise qu’il vaut mieux en savoir le moins possible. C’est le cas du film dans son ensemble : sur un sujet qui exigerait plutôt le recueillement (l’héritage de l’holocauste), Mundruczó propose un tour de force qui laisse une généreuse place à la surprise et même au choc.

Comme Pieces of a Woman, Évolution est basé sur une pièce de Kata Wéber (créditée ici en tant que co-scénariste), que Mundruczó avait déjà mise en scène au théâtre mais aussi en prison – ce qui n’a rien d’anodin tant le film ressemble parfois à un asile ou un bunker. Il dirige d’ailleurs les mêmes actrices, dont Lili Monori (collaboratrice régulière du cinéaste, et avant cela de Márta Mészáros), qui mérite tous les prix d’interprétation. La liste des points communs entre Évolution et cette précédente collaboration s’arrête ici car Évolution ne ressemble qu’a lui-même, même au sein de l’œuvre déjà particulièrement éclectique et dingo du cinéaste hongrois.

Mundruczó n’a pas son pareil pour mettre en scène une découverte sidérante et sidérée de l’espace. Qu’il filme une zone de guerre ou un simple dialogue de salon, il donne à tout ce qu’il filme les dimensions d’une panique épique, pas dénuée d’humour absurde. Une grande partie de la stupéfaction face à Évolution vient de la découverte de ce que le cinéaste parvient à faire parvenir dans le champ de sa caméra. Celle-ci ne se pose jamais, tournant comme un insecte ivre. Ce pandémonium de poche pourrait virer à l’exercice de style vain, mais la mise en scène de Mundruczó, riche en métaphores, colle de façon étonnement efficace à son sujet.

Évolution interroge les traces laissées par l’holocauste dans différentes générations d’une même famille. A travers cette galerie de personnages plus ou moins paumés dans le labyrinthe de leurs souvenirs, le film dessine la cartographie d’un inconscient collectif furieux. Les plans-séquences ne sont pas là que pour rouler des mécaniques : ne pas couper la captation de la caméra, c’est une manière de ne refuser de fermer les yeux. Il n’y a pas de répit face au travail mémoire, il n’y a pas de silence qui tienne face à l’histoire. Le résultat est un bouillon qui menace de déborder à chaque instant, où l’horreur pourrait bien revenir à la surface comme un souvenir refoulé ou comme les ascenseurs plein de sang de Shining.

Furetant partout, la caméra de Mundruczó semble chercher en urgence une porte de sortie, comme si cet héritage-là était une impossible escape room. Elle nous invite surtout regarder les choses en face et à remettre en question notre perception de l’espace, les murs et les barrières érigés autour de nous. D’abord d’une claustrophobie carcérale, le film se fait de plus en plus aérien, tourné vers l’avenir et l’espoir. Immersif comme jamais, Évolution est le film le plus passionnant de Mundruczó depuis White God.

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par Gregory Coutaut

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