A voir en ligne | Critique : Ema

Ema, jeune danseuse mariée à un chorégraphe de renom, est hantée par les conséquences d’une adoption qui a mal tourné. Elle décide de transformer sa vie.

Ema
Chili, 2019
De Pablo Larrain

Durée : 1h42

Sortie : 02/09/2020

Note :

JEUNE FILLE EN FEU

Ema s’ouvre sur un plan noir et le son d’une corne de brume, comme le signal que ce qui s’apprête à débarquer à l’image n’est pas une mince affaire et mérite une mise en garde. Ce qui déboule n’est en effet rien de moins qu’une planète en flammes, un astre ardent qui sert de décor à une chorégraphie saccadée, mais qui brûle aussi à l’intérieur même de l’héroïne. Autour d’Ema tout est en feu, au sens propre ou au figuré : la scène, les feux rouges, les gens. L’ouverture du nouveau film de Pablo Larraìn est pour ainsi dire flamboyante.

Mais le film happe aussi d’emblée par ses ruptures de ton brutales, à l’image des danses épileptiques répétées par la troupe d’Ema. Il y a tout de suite une violente urgence qui brûle. L’image et la musique ont beau être chaleureuses et accueillantes, elles ne cachent pas la cruauté cinglante des dialogues. Ema danse, mais elle est elle-même en feu : au moment où on les découvre, elle et son compagnon (Gael Garcia Bernal, plus beau que jamais), viennent d’agir de façon particulièrement terrible en tant que parents.

On n’en révèlera pas davantage sur cette trame. Celle-ci serait digne de servir de base au mélodrame le plus exacerbé. Mais Larraìn choisit un ton beaucoup plus inattendu, quitte à emprunter des virages secs. Il en faut du culot pour bâtir un film entier sur une héroïne dont les actions ne sont jamais excusables, pour nous coller ainsi aux basques d’un personnage sans chercher pour autant à le rendre aimable. Un pari gonflé, une pirouette imparfaite mais drôlement intrigante.

Ema déjoue avec de bien beaux artifices les clichés du magnifique-portrait-de-femme. Portée par le charisme buté de Mariana di Girolamo, Ema est d’ailleurs un personnage aussi indigne que digne, et tant mieux. Il y a quelque chose d’euphorisant à voir ce personnage se défaire ainsi de tous les carcans possibles (la famille, le couple, le travail, les classes sociales, la sexualité…), mais il y a dans le film un entêtant grain de sable qui crisse, et qui nait peut-être du va et vient entre bienveillance et froideur dans le regard que Larraìn porte sur son héroïne.

Car le cinéaste ne s’efface pas derrière son personnage, il rappelle au contraire sa présence par les cassures et éclats réguliers de son écriture. Ni Almodovar ni Michel Franco (ou alors quelque part entre les deux?), Ema est un film qui séduit et frustre (on se serait passé des clichés sur la bisexualité sauvage) et séduit à nouveau, un film qui glisse entre les doigts. En nous poussant à s’interroger sur le regard qu’il pose sur tout ça (ironie ? Pur premier degré mélo ?), Larraìn interroge notre regard à nous, sans donner de réponse claire. La clé se trouve peut être dans un dialogue d’une fluidité brillante : après un énième rebondissement récalcitrant, un personnage demande à voit haute « non mais sérieusement? », Ema répond du tac au tac « bien sur que je suis sérieuse », nous laissant nous aussi dans une perplexité admirative. Pas banal.


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par Gregory Coutaut

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