Critique : Donbass

Dans le Donbass, région de l’est de l’Ukraine, une guerre hybride mêle conflit armé ouvert, crimes et saccages perpétrés par des gangs séparatistes. Dans le Donbass, la guerre s’appelle la paix, la propagande est érigée en vérité et la haine prétend être l’amour. Un périple à travers le Donbass, c’est un enchainement d’aventures folles, dans lesquelles le grotesque et le tragique se mêlent comme la vie et la mort. Ce n’est pas un conte sur une région, un pays ou un système politique mais sur un monde perdu dans l’après-vérité et les fausses identités. Cela concerne chacun d’entre nous.

Donbass
Ukraine, 2018
De Sergei Loznitsa

Durée : 2h01

Sortie : 26/09/2018

Note : 

SOUS LE PLUS GRAND CHAPITEAU DU MONDE

On avait quitté le très prolifique réalisateur ukrainien Sergei Loznitsa avec Une femme douce, un drôle de conte surnaturel. Son nouveau film, Donbass, semble prendre le contrepied le plus franc en nous plongeant dans un réalisme sans compromis. Dès son titre, d’abord : Donbass est le nom d’une région située à cheval entre la Russie et l’Ukraine, en proie à un conflit armé entre le gouvernement et les séparatistes, entre les pro-europe et les pro-russie. Dès la première scène du film également : dans une loge, un groupe de comédiens se prépare. Mais lorsqu’on vient les chercher, ils se retrouvent plongés en pleine scène de guerre, et nous aussi, collés à la caméra qui leur court après.

Suite de la scène : il s’agissait bien d’acteurs, engagés comme faux témoins pour un reportage télé plus vrai que nature, payés pour vanter la répression anti-rebelles. Si réaliste que ça, Donbass ? Cette première séquence n’est même pas terminée qu’on se demande déjà ce qui est vrai, et ce qui est faux.

Le reste du film est divisé en une douzaine de segments, passant au gré de ces vignettes d’un groupe de personnages à un autre, tous plus mal barrés les uns que les autres, comme dans une ronde tendue. Un mariage, un contrôle de frontière, des retrouvailles familiales… les différentes séquences partagent un même ton étrange.

Le réalisme âpre y est accompagné de percées de bouffonnerie, lorsque des personnages se mettent à se gueuler dessus en invoquant toutes les puissances du surjeu du théâtre de boulevard. Une absurdité parfois drôle, mais souvent inquiétante. Car entre la corruption, la folie, la mauvaise foi et la guerre, on a l’impression que ce monde-là vit dans une montagne russe sans direction, un carrousel fou et dangereux dont on ne peut pas descendre.

Lors d’une scène complètement dingue, la caméra nous fait visiter (en vue subjective comme dans un reportage télé) une sorte de camp d’internement, en s’enfonçant tout droit dans un bâtiment qui ne semble jamais fini, ouvrant une porte après l’autre dans ce qui commence comme un gag avant de virer à l’angoissant labyrinthe. Le résultat, parfois étouffant, est comme un manège qui donnerait parfois mal au cœur, mais qui offrirait quand même un sacré vertige. Sergei Loznitsa prouve qu’il n’a pas son pareil pour capter le réel pour mieux le rendre grotesque, plus vrai que nature.

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par Gregory Coutaut

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