Berlinale 2019 | Critique : Die Kinder der Toten

Le tourisme est en plein essor à la pension Alpenrose. Après sa mort accidentelle, Karin revient sous forme de morte-vivante. Dans un cinéma appartenant à une veuve nazie où le passé est célébré, les morts sont ramenés à la vie.

Die Kinder der Toten
Autriche, 2019
De Kelly Copper et Pavol Liska

Durée : 1h30

Sortie : –

Note :

LA CHAUMIÈRE DE LA DÉMENCE

L’Autriche, ses riants alpages, ses châlets cosy, son folklore pittoresque… et son monstrueux inconscient collectif. Au milieu d’un paysage tout droit sorti d’une carte postale se trouve une joyeuse chaumière. Ça s’active sec dans cette ruche, entre les copieux repas ingurgités en musique, et les excursions faites sur un rythme à l’enthousiasme presque frénétique. Le lieu est tellement idyllique qu’il paraît presque appartenir à un autre monde, un autre temps. Et pourtant il y a déjà quelque chose de franchement bizarre qui flotte dans l’air. Si un lieu ressemble autant au paradis, cela implique t-il qu’il appartient déjà un peu à l’au-delà?

L’image du film, artificiellement vieillie façon super 8, rappelle les vieux reportages touristiques ou les films de vacances de famille. Mais les sautes d’images brutales, leur vacillement permanent et les bruitages volontairement surexposés donnent aux scènes les plus inoffensives des airs de pantomime grinçant. L’effet est celui d’une loupe qui viendrait déformer le quotidien jusqu’à le rendre grotesque et inquiétant. A y regarder de plus près, les résidents de l’auberge ont l’air sortis d’un épisode de Striptease. On se balance les pires saloperies passives-agressives au dessus d’une escalope viennoise, les visages sont rendus grimaçant par l’ennui et la mesquinerie. C’est comme si derrière la jovialité de façade, un inconscient malpoli commençait à se réveiller chez tout le monde, tandis que continue de résonner le rythme pataud et entêtant (une incantation?) d’une fanfare avinée.

A l’origine de Die Kinder der Toten, il y a deux des artistes autrichiens contemporains les plus renommés : l’autrice Elfriede Jelinek (dont le roman éponyme est ici adapté par un couple de metteur en scènes américains) et le cinéaste Ulrich Seidl (qui est ici producteur). Ce n’est sans doute pas un hasard si leurs chemins se croisent, tant tous deux ont basé leur stupéfiant travail sur l’auscultation de la mauvaise conscience de leur pays. A travers leurs farces acides et glaçantes, Jelinek et Seidl appuient avec un sourire sauvage là où ça fait horriblement mal : sur le refoulement collectif de l’Autriche. Refoulement des désirs, mais aussi refoulement d’une Histoire nationale non-assumée (nazisme, extrême-droite). Chez eux, le refoulement rend ridicule, mais il rend aussi enragé. Tourné dans la région-même d’où est originaire l’autrice, Die Kinder der Toten est lui aussi sauvage et bouffon, drôle jusqu’à la terreur.

Qu’est ce qui pourrait bien arriver ? Eh bien justement, le pire que l’on puisse affronter : à savoir que le passé se mettre lui aussi à remonter à la surface. C’est chose faite quand débarquent à l’auberge… les morts. D’abord les morts du voisinage, puis de la région, puis ceux de l’Autriche entière : des jeunes, des vieux, des célébrités, des fillettes et des nazis, des marquises et des hommes politiques. Comme sortis d’un robinet impossible à fermer, ils envahissent la chaumière jusqu’à la faire déborder. Le trombone continue à jouer tandis qu’ils entrainent les vivants dans une ronde hilarante qui vire à bacchanale où les vêtements tombent et où l’on se caresse sensuellement avec des crêpes.

Détail saisissant : ces morts ne sortent pas de terre, mais débarquent à travers un écran de cinéma. C’est un drap tendu dans une grange, initialement pour une soirée diapos, qui va servir de porte vers les enfers et de miroir déformant, renvoyant à chacun son imaginaire pervers. On pense alors au double sens du mot séance qui, s’il désigne en français une projection de film, s’emploie en anglais pour une cérémonie d’invocation des fantômes. Séance était le titre d’un récent projet du réalisateur canadien Guy Maddin, et il y a plus d’une touche de Maddin dans le cirque démoniaque de Der Kinder der Toten. La pellicule est brûlée comme si elle avait elle même traversé les enfers, et si l’on rit à en pleurer, on tremble aussi devant ce cauchemar en forme de boucle sans issue, où l’on ne différencie plus les morts des vivants. (lire notre entretien avec la co-réalisatrice, Kelly Copper)

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par Gregory Coutaut

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