Critique : Destruction Babies

Mitsuhama, port du Shikoku, sud le plus rural du Japon. Là vivent deux frères orphelins, Taira et Shota Ashiwara. L’aîné, Taira, est obsédé par l’idée de se battre. Le jour où il est passé à tabac par un groupe de voyous, il rejoint Matsuyama, la grande ville la plus proche, à la recherche d’adversaires forts à qui se mesurer. Débute alors dans son sillage une escalade de violence.

Destruction Babies
Japon, 2016
De Tetsuya Mariko

Durée : 1h48

Sortie : 27/07/2022

Note :

Y’A D’LA HAINE

Primé en 2016 à Locarno, au Festival des 3 Continents et resté inédit dans les salles françaises, Destruction Babies est un des films les plus jusqu’au-boutistes qu’on a vus ces dernières années. Le long métrage de Tetsuya Mariko suit le parcours d’un jeune homme, Taia (incarné par Yuya Yagira, le tout jeune héros dans un style radicalement différent de Nobody Knows de Kore-Eda), et de son déferlement de violence. Taia arrive, agresse, trolle, met des poings dans la figure. Les scènes se suivent et les bastons s’enchainent… jusqu’à former une sorte de ballet abstrait, de slapstick absurde cherchant l’épuisement, le chaos debout. La grande partie du film consiste en effet à voir des gens se mettre sur la gueule – tout simplement – et ce dans un déluge qui semble inarrêtable.

Qu’est-ce qui pousse le héros puis d’autres à cette violence ? Le radicalisme punk du cinéaste l’empêche d’être un moraliste et de fournir des explications psychologisantes clef en main. Les garçons désolés semblent vivre dans un terrain propice à la révolte. L’un d’eux peut bien disparaître sans que personne n’en ait quoi que ce soit à faire. Mais Destruction Babies ne cherche pas à faire vibrer la corde sensible – ce film n’est pas un mélodrame. Destruction Babies s’ouvre sur les grésillements d’une guitare électrique. Plus tard, celle-ci gronde encore, dissonante, quelque part entre les Shaggs et le prog rock. Le long métrage de Mariko n’est pas confortable – on y cogne jusqu’à saigner des poings – et c’est l’une de ses forces.

La mise en scène des bastons, assez peu découpées, accentue l’effet de réalisme ; on en vient d’ailleurs parfois à se demander comment certaines scènes ont été chorégraphiées. Sans jamais ouvrir les Dossiers de l’écran, le film lance de pistes : sur une virilité toxique, sur l’autorité masculine, tandis que de ce geste gratuit émane une poésie noire et désespérée. Destruction Babies fait partie de ces films dingues durant lesquels on finit par ne plus savoir où tout cela va aller. C’est une incertitude de cinéma particulièrement excitante ; le film s’engageant d’ailleurs dans une escalade qu’on ne croyait pas possible – et qu’on ne vous dévoilera pas. Quelque part entre l’ultra-réalisme et l’abstraction totale, Destruction Babies tutoie le film de zombie, avec ses corps possédés qui se mordent et se contaminent, sauf qu’ici les zombies sont des « bébés » et qu’ils n’ont pas de maquillage de monstre.

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par Nicolas Bardot

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