A voir en ligne | Critique : Derniers jours à Shibati

Dans l’immense ville de Chongqing, le dernier des vieux quartiers est sur le point d’être démoli et ses habitants relogés. Le cinéaste se lie d’amitié avec le petit Zhou Hong et Madame Xue Lian, derniers témoins d’un monde bientôt disparu.

Derniers jours à Shibati
France, 2017
De Hendrick Dusollier

Durée : 1h00

Sortie : 28/11/2018

Note : 

CHONGQING BLUES

Pendant deux ans, le réalisateur français Hendrick Dusollier s’est immergé dans un quartier historique de la ville de Chongqing, et a filmé un monde sur le point de disparaître. Plus précisément, avec deux ellipses de six mois, Dusollier a filmé avant, pendant et après la destruction de ce vieux quartier, installant à la fois une intimité avec ses interlocuteurs en même temps qu’une distance, une froide inéluctabilité. Le cinéaste reste un observateur extérieur, vu d’abord avec méfiance par certains habitants: qui est cet étranger qui n’arrête pas de nous filmer ? « Va t’en !« , lui lance l’un des hommes qu’il croise dans la rue et sur lequel il dirige l’objectif de sa caméra. « Ce n’est plus ça la Chine, tes images sont fausses !« .

C’est à la fois tout à fait vrai et vraiment faux: ce qui se déroule sous nos yeux, ce sont réellement les transformations d’une Chine toujours mutante ; et effectivement, ce quartier n’est plus la Chine, plus celle d’aujourd’hui – elle semble vouée à disparaître, filmée comme le sous-sol oublié et honteux de la grande ville.

Cette coexistence saisissante, donnant le sentiment que l’on vit à deux époques distinctes, est illustrée par une séquence superbe durant laquelle le réalisateur suit un garçonnet qui lui propose de l’emmener voir « la cité de la lumière de la lune« . On progresse du monde souterrain avant d’arriver à destination : sous cette appellation merveilleuse se cache tout simplement la mégalopole d’aujourd’hui, ses lumières et ses gratte-ciels.

Le travail d’observation de Dusollier est extrêmement délicat. On ressent une empathie authentique pour ces habitants bousculés : ce garçonnet donc, une ramasseuse de déchets, un coiffeur, une mère dont le principal souci semble de savoir si le cinéaste a suffisamment mangé. Il y a dans ce portrait d’un monde au bord du précipice une humanité, quelque chose qui vit très fort à l’image et qui émeut. Cette ramasseuse semble d’ailleurs être une cousine des vieilles héroïnes-courage qu’on croise dans certains films de Brillante Mendoza, poussées malgré l’adversité par une pulsion de vie.

Le long métrage a une certaine douceur – mais il n’est pas idéalisé. On voit les ruines apparaître en quelques mois, les briques par terre tandis qu’au mur reste accroché un vieux poster coloré. Un tas de débris est célébré comme un autel – la vieille femme déambule dedans comme dans une installation d’art.

Mais il y a, en creux, une violence : celle des gamins de la ville qui ne se mélangeront pas au jeune héros, celle d’un artisan qui a perdu ses clients, celle du déplacement des populations dans un appartement qui semble propret mais qui, surtout, sera bien éloigné du cœur de la ville. La vie reprend son cours, et ne s’est d’ailleurs jamais arrêtée – Dusollier ne filmant jamais un constat social figé mais un portrait vivant, nuancé et humain.


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par Nicolas Bardot

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