Critique : Decision to Leave

Hae-joon, détective chevronné, enquête sur la mort suspecte d’un homme survenue au sommet d’une montagne. Bientôt, il commence à soupçonner Seo-rae, la femme du défunt, tout en étant déstabilisé par son attirance pour elle.

Decision to Leave
Corée du Sud, 2022
De Park Chan-wook

Durée : 2h18

Sortie : 29/06/2022

Note :

ILLUSIONS GAGNÉES

L’enquêteur Hae-joon est un homme solidement équilibré. Tandis que son jeune collègue pousse des colères presque cartoonesques (on ne tarde pas à retrouver ici une dextérité toute coréenne au moment de varier les registres en toile de fond), il fait preuve d’une efficacité si élégante que son patron n’a rien d’autre à lui reprocher qu’être, à la rigueur, une tête de mule. Hae-joon semble tout maitriser autour de lui avec une aisance naturelle, à commencer par l’espace. Cela se traduit dans sa manière de cueillir les indices du regard, dans son goût pour les filatures discrètes mais aussi dans l’équilibre qu’il a trouvé dans sa vie conjugale : tandis qu’il vit au cœur de la grande ville sordide, sa femme passe tranquillement le reste de la semaine dans une petite ville de province non loin. Une ville recouverte de brume, un premier indice qui devrait mettre la puce à l’oreille à la fois pour le protagoniste et les spectateurs de Park Chan-wook.

L’auteur d’Old Boy et Mademoiselle maitrise lui aussi l’espace qui l’entoure, même et surtout s’il le transforme une nouvelle fois en un chatoyant labyrinthe de faux semblants. Decision to Leave apporte-t-il du nouveau à l’œuvre du cinéaste? Pas de façon évidente mais il n’y a certainement pas de quoi rester blasé devant cette nouvelle démonstration généreuse de tant de maestria cinématographique. Qui observe qui dans ce film où les protagonistes sont souvent filmés à travers des reflets, des écrans, des objets aux yeux morts ? Hae-joon se retrouve à enquêter autour de Seo-rae, une séduisante chinoise soupçonnée d’avoir tué son mari coréen et parmi les nombreux prix auxquels peut prétendre ce film bâti comme le plus luxueux des palais des glaces (scénario, montage, direction artistique, interprétation, mise en scène…. c’est un feu d’artifice) soulignons le prix d’interprétation que mérite l’insaisissable et charismatique Tang Wei (Lust, Caution). Elle fait de Seo-rae à la fois un caméléon et une sirène, une vamp prête à faire perdre pied au protagoniste.

Un flic qui tombe amoureux d’une femme fatale ? Park Chan-wook utilise ici les pions les plus archétypaux du film noir, mais cela ne signifie pas que sa partie manque de modernité. Il est beaucoup question de dissection et de reconstitution dans Decision to Leave, mais cette recherche récurrente d’une vérité factuelle n’est qu’un mirage de plus tant le maitre coréen n’obéit qu’à sa propre recette narrative. Dans un effet récurrent, un personnage commence à raconter un souvenir, sa voix se poursuit en off sur une nouvelle scène qu’on s’imagine être l’illustration de ce souvenir avant de réaliser que… pas du tout. Ailleurs, des personnages s’épiant l’un l’autre à distance se retrouvent réunis dans le même cadre par le vertige de champs-contrechamps paradoxaux. Les scènes sont hachées menues, comme si le montage les disséquait en effet, mais une fois redistribuées, elles se chevauchent presque, deviennent comme perméables les unes aux autres.

Comme si les interprétations se superposaient, ce procédé nous plonge dans la même délicieuse perte de repères que le protagoniste, réduit à ne plus pouvoir trancher sur la couleur d’un vêtement. Park Chan-wook nous en met plein les yeux avec une aisance qui laisse pantois, quitte à parfois craindre d’être à la traine sur ses pas tandis qu’il nous fait faire le tour du propriétaire à la vitesse d’un bolide. Decision to Leave pourrait avoir simplement l’air d’un puzzle 1000 pièces assemblé froidement par un démiurge-scénariste si le film ne dévoilait pas progressivement son visage, ou plutôt son cœur, le plus intime et chaleureux : davantage qu’un casse-tête à suspens, le film se révèle un kaléidoscope sur un amour impossible.

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par Gregory Coutaut

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