Critique : Chers camarades !

Une ville de province dans le sud de l’URSS en 1962. Lioudmila est une fonctionnaire farouchement dévouée au Parti Communiste. Sa fille décide de participer à la grève d’une usine locale et les événements prennent une tournure tragique. Les autorités dissimulent la violence de la répression. Lioudmila se lance alors dans une quête éperdue à la recherche de sa fille disparue…

Chers camarades !
Russie, 2020
De Andrey Konchalovsky

Durée : 2h01

Sortie : 01/09/2021

Note :

JAMAIS SANS MA FILLE

Il y a un point commun entre ce nouveau film d’Andrei Konchalovsky et La Voix d’Aïda de la Bosnienne Jasmila Žbanić, présentés côte à côte en compétition à la dernière Mostra (Chers camarades ! y a d’ailleurs remporté le Prix spécial du jury). Tous deux s’inspirent d’événements réels de l’Histoire de leur pays, où une partie de la population fut massacrée par les autorités, sans que justice ne soit rendue, et tous abordent la reconstitution par le biais d’un personnage féminin fier mais pris entre deux feux. Comme dans La Voix d’Aïda, Chers camarades ! a à peine commencé que son héroïne est déjà affairée, sautant du lit le corps et l’esprit déjà très agités.

Lyudmila est une bureaucrate soviétique entièrement dévouée au Parti Communiste. Elle est presque la seule femme à siéger à la table des hommes du Parti, mais elle n’est pas pour autant amenée à prendre des décisions. Poussée par ses convictions, elle est davantage du style à promptement obéir aux ordres. Son uniforme et sa coiffure sont aussi serrés l’un que l’autre, sa mâchoire est crispée, et ses yeux sont sans cesse sur le point d’être levés au ciel à chaque fois qu’elle soupçonne une opinion déviante.

Le massacre des grévistes de 1962 que reconstitue (avec tact mais colère) Konchalovsky se situe à peu près à mi-film. Une répression particulièrement violente que Lyudmila orchestre bien cachée dans ses bureaux. Dans la première partie, Lyudmila impose son silence à chacun, jugeant lourdement quiconque repend des rumeurs, consternée à l’idée qu’on puisse se faire sa propre idée (« les gens sont tous des idiots » souffle-t-elle). C’est notamment le cas de son père, coincé dans ses souvenirs de Staline, et surtout de sa propre fille adolescente qui rêve d’un avenir plein de liberté. Ce n’est qu’au lendemain des événements qu’elle réalise que sa fille faisait partie de la foule de grévistes, et qu’elle y a peut-être laissé la vie. Commence alors la deuxième partie du film, où cette fois le silence s’impose à Lyudmila.

L’ordre est donné à tout le monde de ne jamais faire mention des événements, et de les oublier entièrement. Lyudmila se heurte alors à tous les murs qu’elle a participé à ériger. A mesure que ses convictions s’effritent et que ses mèches se libèrent (rien que l’évolution de sa coiffure crée un vrai suspens), Konchalovsky la filme de moins en moins comme une garce mais comme une victime ambigüe, et avec de plus en plus de chaleur à mesure que celle-ci déclare vouloir tout faire péter en guise de vengeance. Si ce récit de renaissance politique prend parfois trop son temps, sa qualité la plus éclatante est sans doute cette superbe photo en noir et blanc à la clarté éclatante. Une blancheur aveuglante telle une vérité qu’on refuse de voir sous son propre nez, et qui donne la glaçante sensation qu’il n’y a nulle part où se cacher.

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par Gregory Coutaut

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