La Roche-sur-Yon | Critique : Certain Women

Quatre femmes font face aux circonstances et aux challenges de leurs vies respectives dans une petite ville du Montana, chacune s’efforçant à sa façon de s’accomplir.

Certain Women
États-Unis, 2016
De Kelly Reichardt

Durée : 1h47

Sortie : 22/02/2017

Note :

PRISON POUR FEMMES

Dans les précédents de films de Kelly Reichardt (Old Joy, La Dernière piste), la nature jouait souvent un rôle de catalyseur : le rapport à la forêt, au désert, ou même à un projet écologique finissait par en révéler davantage sur les personnages que n’importe quel dialogue ou action. Cette fois-ci, la nature prend les traits d’une chaine de montagne, unique horizon qui semble encercler la ville et ses environs sous un ciel lourd. Une prison géographique autant que psychologique, où même les trains se trainent péniblement vers un possible ailleurs. Les héroïnes de Certain Women ne rêvent pas de quitter leur lieu de vie, leur travail ou leur famille, mais plutôt d’y trouver enfin leur vraie place. Ce sont des femmes rendues solides par leur quotidien, mais que le film nous montre dans de bouleversants moments de demande affective frustrée.

Certain Women raconte successivement trois épisodes dans la vie de ces femmes d’âge et de situations différentes. Le mot « épisode », à défaut d’événement, n’est pas choisi au hasard. Ceux qui ne sont pas familiers avec le cinéma de Kelly Reichardt, et qui s’attendent (légitimement) à un film familier, à cheval entre un cinéma indépendant américain bien identifié et le simple portrait-de-femme-digne, risquent fort en effet d’être surpris par la démarche de la réalisatrice. Reichardt confirme ici son talent pour une écriture particulièrement économe (en actions, en dialogues psychologiques). Il y a beaucoup de subtilité dans sa manière de lier ou non les récits, de suggérer en passant une certaine condescendance chez des personnages masculins, ou bien un désir qui ne dit pas son nom, voire même de détourner quelques clichés de cinéma de mec (la prise d’otage, le prince charmant sur son cheval).

Mais cette subtilité ne rentre jamais dans le cliché du « film féminin délicat », cette idée idiote qui voudrait que les réalisatrices soient exclusivement douées pour décrire des émois fébriles et les petites choses de la vie. Tout en restant d’une discrétion qui risque de passer au-dessus de la tête de certains spectateurs pressés, la démarche de Kelly Reichardt est vraiment radicale. A travers ces histoires où en surface, il semble presque ne rien se passer, ce ne sont pas les petites choses qu’elles nous donne à voir, mais au contraire les plus grandes : des gouffres d’émotions refoulées. Pas de cri, pas de larme, pas de baiser, c’est précisément cette absence-là (et la violence sans éclat de ce vide-là) que Reichardt et ses formidables comédiennes parviennent à nous faire sentir. Malgré (ou plutôt « grâce à ») sa sobriété sans compromis, Certain Women est peut-être bien le film le plus émouvant de son autrice.

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par Gregory Coutaut

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