Festival de La Roche-Sur-Yon | Critique : Call Jane

Chicago, 1968. Alors que le pays est au bord d’un violent bouleversement politique, Joy, femme au foyer vivant en banlieue, mène une vie ordinaire avec son mari et sa fille. Lorsqu’elle apprend que sa grossesse peut lui être fatale, Joy se rend dans un établissement médical qui ne veut pas l’aider. Alors que la situation lui semble impossible, elle rencontre les « Janes », une organisation clandestine de femmes qui offrent à Joy une alternative plus sûre – et un véritable changement de vie.

Call Jane
États-Unis, 2022
De Phyllis Nagy

Durée : 2h01

Sortie : –

Note :

CALL YOUR GIRLFRIEND

Avec son chignon parfait (c’est littéralement la première chose d’elle que l’on voit dans le film, et il mérite l’admiration), Joy a l’air de vivre chez les heureux du monde. La bulle de privilège dans laquelle elle évolue l’ennuie gentiment, mais quand une manifestation politique menace de troubler l’ordre du cocktail mondain où elle est invitée, elle ne se fait pas prier pour se carapater chez elle. Call Jane se passe dans les années 60 et même dans la banlieue aisée de Joy où les pelouses sont bien tondues et les épouses restent bien à la cuisine, le monde est en train de changer. Il est encore mal vu pour une jeune fille de se faire percer les oreilles, mais les mères au foyer prodiguant ces conseils étriqués sont les premières à remplacer en cachette leur tasse de thé par des alcools fort et des pilules, et à parler de tentative de suicides entre deux potins.

Derrière les façades apprêtées, il y a un terrain propice à accueillir le germe du changement. Quand le destin met Joy sur la route des « Jane », une organisation clandestine venant en aide aux femmes désirant pratiquer un avortement (à la tête de laquelle règne une Sigourney Weaver particulièrement butch), sa première réaction est un rejet puritain. Mais le rejet le plus fort reste quand même celui qu’elle se prend dans la figure au quotidien. Reçue avec paternalisme de la banque à l’hôpital, mentionnée à la troisième personne comme si elle n’était pas présente, Joy a beau être l’épouse idéale, elle n’est traitée que comme la bonne ou la fille mineure de son propre mari. C’est d’ailleurs l’une de discrètes réussites du film que de montrer le manque de connaissance, d’intérêt et d’empathie des hommes sur le sujet.

Call Jane est un drame américain à la forme somme toute classique. On n’est pas ici face à L’Événement, mais ce n’était de toute façon pas le but. L’accès à l’avortement pour l’héroïne n’est d’ailleurs pas ici une fin en soi mais un point de départ vers autre chose. Call Jane n’est pas tendu, l’ensemble est au contraire bienveillant mais pas superficiel pour autant car son point de vue consiste à prendre le sujet au sérieux tout en en contournant les clichés dramatiques. Avec quelques touches d’humour, des angles arrondis et des dialogues certes parfois un peu trop explicatifs, le film traduit avec succès une atmosphère de sororité, de solidarité chaleureuse et contagieuse. A l’image de son dernier plan où jaillit un flot crescendo de voix et de noms, Call Jane met moins en en scène des histoires intimes qu’une Histoire collective.

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par Gregory Coutaut

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