Critique : Bacurau

Dans un futur proche… Le village de Bacurau dans le sertão brésilien fait le deuil de sa matriarche Carmelita qui s’est éteinte à 94 ans. Quelques jours plus tard, les habitants remarquent que Bacurau a disparu de la carte.

Bacurau
Brésil, 2019
De Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles

Durée : 2h10

Sortie : 25/09/2019

Note :

RÉVEIL DANS LA TERREUR

S’il avait été internationalement révélé dès 2012 avec Les Bruits de Recife, portrait déjà intranquille d’une vie de voisinage, c’est grâce au charme du plus accessible Aquarius que le réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho s’était fait – à raison – de nombreux nouveaux fans. Combien parmi ces derniers risquent d’être fort décontenancés par l’improbable Bacurau, coréalisé avec son chef décorateur Juliano Dornelles ? Au sourire rassurant de Sonia Braga succède un drôle de tremblement de terre plein de violence et d’inquiétude (comme pour enfoncer le clou, cette dernière à d’ailleurs ici un rôle tout à fait désagréable). L’héroïne d’Aquarius refusait de vivre dans un bâtiment aux fondations devenues instables : c’est cette fois le film entier qui est pris de secousses folles.

Comme dans un rêve, Teresa revient après des années d’absence dans le village de sa grand-mère : Bacurau. Un village introuvable sur les cartes, n’apparaissant même pas sur des images-satellite. Un lieu hors du temps et hors des normes. Un village utopique, à l’organisation matriarcale, où l’expression « se serrer les coudes » va de soi et signifie autant danser avec un cercueil dans les bras que lancer des tomates à un politicien véreux. Pourtant, Bacurau est menacé. Par quoi, par qui ? Un peu tout le monde à vrai dire : un président corrompu, des investisseurs étrangers, mais aussi des drones en formes de soucoupes volantes et même des mercenaires nazis !

Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles situent leur film « dans un futur proche ». C’est pourtant du Brésil d’aujourd’hui dont ils nous parlent. Si le nom de Bolsonaro n’est jamais cité, son ombre plane partout. A l’image d’une société brésilienne prête à basculer dans la folie, où la violence et la solidarité prennent déjà bien des visages: Bacurau est lui-même imprévisible. Conte fantastique, western brutal, films d’invasion à la Carpenter, le tout avec figures généreuses des films bis : on ne sait plus très bien dans quelles marmites cinéphiles on trempe ici. S’il faut trouver un écho à ce cocktail corsé, il faudrait peut-être le chercher loin du Brésil, du coté de l’Ozploitation: ces films de genre australiens au soleil qui rend fou, remplis de paranoïa et d’humour noir. Comme eux Bacurau donne l’impression d’être un film en état sauvage.

Plutôt que de jouer la carte du mystère, les réalisateurs préfèrent celle du foisonnement, l’envie de tout montrer (la violence), le risque du presque trop (top de personnages, de registres, de « hein? »). Quitte à s’éparpiller, à gigoter plus vite que la musique, à perdre parfois son rythme de vue. Quitte à flirter avec la parodie, aussi. Revoir Udo Kier en nazi, est-ce un clin d’œil cinéphile ou bien une métaphore de l’éternel recommencement de l’Histoire ? Faut-il rire ou bien s’inquiéter devant ce drôle de cirque ? Posé sur un curieux équilibre entre l’humour et la colère, Bacurau est un film lui-même aux portes de l’anarchie.

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par Gregory Coutaut

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