Festival de Rotterdam | Critique : Au jour d’aujourd’hui

2024 en banlieue parisienne : Suzanne, grand-mère addict à la technologie, ne parvient pas à se remettre de la mort de son mari Edouard. Un jour elle télécharge l’appli “Au jour d’aujourd’hui” qui permet de “retrouver vos êtres chers.” Edouard revient, mais n’est plus tout à fait le même.

Au jour d’aujourd’hui
France, 2021
De Maxence Stamatiadis

Durée : 1h07

Sortie : –

Note :

DEMAIN NE MEURT JAMAIS

En début d’année, nous vous disions déjà le plus grand bien de la sélection de Vanja Kaludjercic (lire notre entretien), nouvelle directrice du Festival de Rotterdam, et notamment de son goût contagieux pour les films à cheval sur plusieurs genres. Citons par exemple les formidables Feast, Destello bravio, Bipolar, Carro rei (il y en a plein d’autres), dévoilés en février lors de la première partie de cette édition 2021. Quatre mois plus tard, la deuxième partie du festival n’est pas en reste puisque, outre le spectaculairement imprévisible A Man and a Camera, Kaludjercic a sélectionné avec Au jour d’aujourd’hui l’un des films français les plus curieux vus depuis quelque temps.

Comment qualifier un film qui mélange avec une audace de bouts de ficelles des éléments qui ne devraient pas du tout aller ensemble ? Au jour d’aujourd’hui (d’emblée, un titre-tautologie en forme de gag) est un film de science fiction, et c’est aussi un peu un documentaire, où les protagonistes sont en tout cas crédités sous leurs propres noms. C’est une comédie absurde et bouffonne, et c’est aussi profondément triste. C’est un film à l’image tellement crue qu’il paraît tourné sans aucun moyen, mais avec un puissant trésor d’imagination. Un film qui mélange anticipation technologique et ennui banlieusard, un film qui passe de portions de Kiri au Darkweb, parfois à l’intérieur de la même scène.

Le long métrage débute en 2013. Pendant que Suzanne s’occupe de sa petit-fille et s’occupe comme elle peut, son mari Edouard s’enferme dans sa chambre pour jouer en cachette à des jeux vidéo très violents. Edouard décède (ce n’est pas un spoiler) et rapidement, le film fait un bon dans le futur, en 2023. Un futur où les pavillons de banlieue semblent toujours aussi ternes, et où l’avenir a semble-t-il carrément oublié de débarquer (on croise même toujours Evelyne Thomas à la télé). Si son horizon est toujours limité, Suzanne est comme une petite folle avec les applis de son téléphone (oh des filtres, oh des lolcats), et décide de redonner vie à son mari sous la forme d’un avatar virtuel. Ce qu’elle ignore, c’est que l’algorithme qu’elle utilise alors va intégrer l’historique des jeux d’Edouard, ce qui va réveiller en lui un instinct brutal.

Cela pourrait être un pitch de Black Mirror, mais aussi d’un épisode de Striptease. De fait, pour son premier long métrage (après une poignée de courts et une sélection à Locarno), Maxence Stamatiadis fait joyeusement fi des frontières et des convention. Et ce aussi bien entre les familles de cinéma (captation pure ? Film de vengeance ?) qu’entre les registres. L’humour est en effet parfois pathétique, mais jamais moqueur, et surtout il y a un triste malaise qui plane au-dessus de cette histoire de solitude. Il y a là une manière de regarder de réel en face, dans ses détails les plus triviaux et moches, pour le transformer en quelque chose d’onirique et dingo. Un tour de passe-passe (qui peut rappeler un peu le cinéma de Virgil Vernier), capable de transformer des paroles mielleuses de Justin Bieber en une émouvante supplication robotique venue de l’au-delà. On se demande bien dans quel autre festival on aurait pu faire une découverte aussi dingue.

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par Gregory Coutaut

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