Critique : Au cœur du bois

Il était une fois un bois encerclé par la ville. Quand le crépuscule arrive, ce parc devient autant un foyer qu’un lieu de travail pour les prostitué.e.s et personnages excentriques en marge de la société qui partagent ici leur histoire.

Au cœur du bois
2021, France
De Claus Drexel

Durée : 1h20

Sortie : 08/12/2021

Note :

LES DAMES DU BOIS DE BOULOGNE

L’histoire se déroule dans « un bois aux abords de Paris » comme l’indique un carton en début de film. Ce détail semble installer Au cœur du bois dans les codes du conte de fées. Les couleurs automnales sont superbes, la lumière est douce et l’on entend une chanson. La musique évoque un sentiment d’étrange émerveillement. Et si finalement ce ne sont pas vraiment des fées que Claus Drexel rencontre, les différentes intervenantes, des prostituées trans ou travesties, appartiennent à un monde habituellement invisible. Tout au plus de silhouettes, ou des prénoms de faits divers, mais on regarde rarement les travailleuses du sexe comme Drexel le fait dans son long métrage.
 
Les protagonistes sont filmées de manière frontale, mises en scène dans un cadre soigné. Toute l’attention est sur elles, au centre, mais aussi sur le monde autour d’elles. Ce sont les bruits de la ville, les cavaliers ou les cyclistes qui passent dans le champ. C’est aussi la ville elle-même qui rappelle que cet univers n’est pas un conte de fées si lointain : ici la Tour Eiffel scintille derrière les arbres, là les tours de la Défense se dressent dans le ciel. Les prostituées ne sont ni cachées, ni honteuses, ni coupées de la vraie vie.
 
Le long métrage trouve le bon équilibre entre la bienveillance et l’absence de naïveté. La prostitution, pour certaines femmes, a pu constituer, ou constitue encore, une forme d’épanouissement et de liberté. Ce n’est pas une romantisation, c’est la parole de certaines des premières concernées. C’est le cas d’une femme qui cherchait de l’argent il y a quelques décennies, pour une autre qui a été contrainte à quitter son pays – pour des femmes qui, en tout cas, n’appartiennent pas à un réseau. Mais le film n’élude bien sûr pas le fait que se prostituer, c’est aussi rencontrer des difficultés et risquer sa vie. Le cinéaste compose un portrait polyphonique où les voix se complètent, s’accordent, se contredisent. Les profils et les expériences sont très contrastés et toutes ces différences enrichissent ce portrait profondément humain.
 
Le Bois de Boulogne est décrit comme un terrain de jeux, de tous les jeux, pour tout style de personnes. Les intervenantes décrivent les personnes extrêmement variées qui viennent les voir et c’est en creux un autre portrait qui se dessine : celui des clients invisibles à l’image. L’expérience néanmoins commune à toutes, c’est celle d’une situation toujours plus précaire. L’une des prostituées s’exprime auprès d’un arbre sur lequel on a gravé de jolis cœurs, une autre se confie dans une caravane à l’intérieur rose bonbon. Mais si l’on ne s’attarde jamais dessus (car le film, toujours aux côtés de ces femmes, laisse le misérabilisme de côté), on voit malgré tout les tentes bricolées ou les membres qui tremblent parce qu’il fait trop froid.  
 
Au cœur du bois est inévitablement politique, et l’une des femmes nous le rappelle en évoquant son absence de protection sociale. Comment les prostituées sont perçues par l’autorité ? Ou plutôt : comment des personnes marginalisées – comme les femmes prostituées – , voire celles qui appartiennent à une marge dans la marge – comme les femmes trans prostituées –, sont maltraitées par le pouvoir ? Que ce soit par Giscard ou Sarkozy, voire par certaines féministes de gauche, les marges sont toujours repoussées, toujours plus loin dans l’ombre du bois.
 
Lors d’une scène imprévue de comédie, le réalisateur se fait interpeller par les forces de l’ordre alors qu’il filme deux intervenantes. Très vite, on n’entend plus ses explications à lui, on n’écoute plus qu’elles et c’est aussi là le geste politique du long métrage : donner aux travailleuses du sexe le plus d’espace, être attentif à la parole de celles qu’on n’écoute habituellement pas, se souvenir des disparues et célébrer ces incroyables forces de vie et ces femmes qui n’ont pas peur.

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par Nicolas Bardot

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