A voir en ligne | Critique : Atlantique

Dans une banlieue populaire de Dakar, les ouvriers du chantier d’une tour futuriste, sans salaire depuis des mois, décident de quitter le pays par l’océan pour un avenir meilleur. Parmi eux se trouve Souleiman, l’amant d’Ada, promise à un autre. Quelques jours après le départ des garçons, un incendie dévaste la fête de mariage de la jeune femme et de mystérieuses fièvres s’emparent des filles du quartier…

Atlantique
Sénégal, 2019
De Mati Diop

Durée : 1h45

Sortie : 02/10/2019

Note :

LA VOIX DES MORTS

Mati Diop filme beaucoup la mer dans Atlantique, son premier long métrage. Une mer qui ne semble jamais la même et qui sert d’outil narratif dans ce récit où l’héroïne voit son amoureux partir sur l’océan, à la recherche d’une vie meilleure. C’est une mer aux lignes épurées quasi-abstraites, comme une photographie de Hiroshi Sugimoto. C’est un océan filmé comme un bloc occupant tout le cadre, le mur auquel vont se heurter les hommes sur leurs pirogues. C’est une eau vivante aussi, comme si celle-ci était animée par les voix des malheureux qui y sont morts.

Les personnages dans Atlantique semblent à la merci des éléments. On a parlé de la mer, mais le soleil et sa chaleur écrasent les protagonistes jusqu’à les faire suffoquer. Là encore, le regard de Diop fait merveille, filmant le soleil comme une étrange menace – quand chez d’autres le soleil ne serait rien d’autre qu’un soleil. Le vent tourmente tout le monde, comme s’il balayait la frontière entre les morts et les vivants – tous les éléments chez Mati Diop sont filmés comme s’ils accompagnaient un basculement.

De ce basculement, on ne parlera pas en détails car il nous semble essentiel de le découvrir en voyant le film. Mais quelle idée superbe et inédite, quelle manière poignante d’aborder le politique par le poétique. « Les vivants portent en eux les disparus » commente la cinéaste dont le film traite de la perte et du deuil avec une hypersensibilité romanesque – rien à voir avec le drame social lambda de festival. Lorsqu’on appartient à une minorité (en bas de l’échelle sociale) ou qu’on est traité comme telle (une femme, noire), le chemin du salut ne peut exister qu’en dehors de la réalité.

La nuit semble toujours sur le point de tomber dans Atlantique ; le soleil décline et quand la nuit vient enfin les humains semblent davantage s’animer. Ça n’est peut-être pas un hasard si dans ce film les ombres et les marginaux sortent la nuit car il n’y a semble t-il aucune place pour eux en plein jour. Une tour futuriste et surréaliste se dresse sur la ville qui meurt, comme une anomalie, quelque chose d’incongru. L’anomalie et l’incongru paraissent avoir guidé Mati Diop dans ce film d’un panache fou, qu’on a l’impression de n’avoir jamais vu, à l’imaginaire aussi envoûtant que son discours politique est tranchant. Le Grand Prix cannois est mille fois mérité pour cette rayonnante révélation.


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par Nicolas Bardot

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