Critique : Toute une nuit sans savoir

Quelque part en Inde, une étudiante en cinéma écrit des lettres à l’amoureux dont elle a été séparée. A sa voix se mêlent des images, fragments récoltés au gré de moments de vie, de fêtes et de manifestations qui racontent un monde assombri par des changements radicaux.

Toute une nuit sans savoir
Inde, 2021
De Payal Kapadia

Durée : 1h37

Sortie : 13/04/2022

Note :

NUITS NOIRES

Une voix au début de Toute une nuit sans savoir parle d’un rêve étrange. Aussi étrange, peut-être, que ces premières images de personnes qui dansent devant un écran de cinéma ? Un rêve, ou bien un cauchemar ? L’enfilade impressionniste d’images dans Toute une nuit…, leurs contours sombres, l’intensité du grain, le sentiment de menace, la bizarrerie enfouie qui naît des plans semblent s’inscrire dans le langage des mauvais rêves.

C’est un rêve peut-être mais c’est surtout la vérité intime de lettres qui sont lues dans Toute une nuit sans savoir. Ces lettres ont été retrouvées, parlent d’un amour entravé. Il y a aussi des pages blanches, d’autres arrachées. Ce journal intime est poétique et prend la forme d’un labyrinthe expérimental. Mais peu à peu, comme si l’on traversait un couloir dans la pénombre qui, éclairé autrement, prend une autre dimension, Toute une nuit… passe de l’essai intimiste à un documentaire dans une conception peut-être un peu plus traditionnelle – si l’on peut utiliser un tel terme pour un film aussi hors normes.

Toute une nuit sans savoir raconte les voix d’un mouvement protestataire, des femmes, des hommes, des étudiant.e.s qui marchent pour la démocratie, la liberté d’expression, l’égalité. Certaines personnes ici sont considérées comme moins indiennes que d’autres – et le récit personnel de Toute une nuit, ancré dans une réalité sociale, prend une tournure plus universelle. On parle ici de l’Histoire qui est comme contrôlée par la mémoire et la mémoire personnelle est effectivement un clef pour comprendre le monde – ici, un point de départ.

Car Toute une nuit va du personnel au collectif, et c’est un dialogue qui semble également se retrouver dans ces images qui paraissent d’archives mais qui sont aussi les images du présent. Lors d’une interview, il y a quelques années, la réalisatrice Payal Kapadia (lire notre entretien) a commenté : « je m’intéresse à ce qui n’est pas facile à voir ou ce dont on ne peut pas parler au grand jour ». C’est une description qui colle parfaitement à Toute une nuit sans savoir, qui prend des chemins aussi inattendus que stimulants. Ce film a, très finement, reçu le prix du meilleur documentaire à Cannes.

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par Nicolas Bardot

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