Festival de Rotterdam | Critique : A Man and a Camera

Que feriez-vous si quelqu’un se présentait devant chez vous sans rien dire, avec une caméra ?

A Man and a Camera
Pays-Bas, 2021
De Guido Hendrikx

Durée : 1h04

Sortie : –

Note :

CODE INCONNU

Le documentaire A Man and a Camera porte bien son titre minimaliste. Le geste du cinéaste néerlandais Guido Hendrikx (lire notre entretien) pousse en effet la sobriété cinématographique jusqu’à un extrême quasiment inédit, proche de la blague. Tourné intégralement en vue subjective, avec un dispositif qui tient dans la poche, le résultat est parfois digne d’un film amateur, et pourtant… Qu’est-ce qui fait alors d’A Man and a Camera un si incroyable coup de tonnerre, l’un des films les plus inclassables et provocants vus depuis longtemps ? Par où commencer pour parler d’un film qui ressemble autant à du Marcel Beliveau qu’à du Michael Haneke ?

Caméra à la main, Hendrikx capte d’abord quelques éléments anonymes d’une banlieue anonyme (un trottoir, un âne, une salle des fêtes), puis vient se planter devant des maisons, sans sonner à la porte, toujours avec la caméra allumée. Perpétuellement hors-champ, le cinéaste ne dit rien, n’utilise pas non plus de communication non-verbale, même quand on l’interroge. Quand les résidents viennent ouvrir, il se retrouvent face à un homme et sa caméra, rien d’autre. Que veut-il ? Que filme-t-il ? L’absence de réponse à cette question a de quoi déstabiliser et rendre nerveux. A Man and a Camera débute ainsi avec des airs d’éprouvant film d’horreur, une sorte de Home Invasion tourné en found footage, réminiscent de l’angoisse cachée derrière la politesse de façade des quartiers résidentiels anonymes (de Caché à Halloween). Jusqu’où cet homme et sa caméra peuvent-ils aller, captant scandaleusement l’intimité des foyers jusqu’à filmer même le visages des enfants ?

Si certaines portes se referment très rapidement (dont, paradoxalement, celle d’une église) ou avec violence (celles de la demeure la plus cossue, tiens tiens), d’autres s’ouvrent pourtant sur des réaction inattendues, à mesure que le vernis social s’effrite. « Quel est le sens de tout cela » demande-t-on régulièrement à la caméra ? A chaque occurrence, la question devient de plus en plus gigantesque et absurde, comme si tous ces quidams nous mettaient au défi, dans un rire inquiet, de trouver un sens à l’existence même. A Man and a Camera est inconfortable et excitant à la fois car il interroge dans le même geste l’éthique du cinéaste et l’innocence de notre propre regard, car quand les hommes et les femmes regardent la caméra l’air perplexe ou goguenard, c’est nous qu’ils interrogent des yeux.

Il ne faut pas longtemps au film pour confirmer que Guido Hendrikx n’est pas qu’un réalisateur de caméra cachée, et que son but n’est pas de simplement provoquer la peur. Voila au contraire un film qui interroge avec une transgression rare le rôle, les attentes et la responsabilité du spectateur. A Man and a Camera change progressivement de peau, gagne et profondeur, et garde sous le coude sa plus sidérante surprise : son minimalisme extrême dévoile en réalité des trésors inattendus de chaleur et d’humanité, et en dit finalement long sur le désir d’intégration et de besoin de communiquer. Comme devant un tour de magie, on ne peut que rester coi en se demandant « mais comment a-t-il fait ? ». Insaisissable, A Man and a Camera choque et émeut à la fois, et échappe à toutes les définitions. Une révélation.

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par Gregory Coutaut

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