Festival New Directors New Films | Entretien avec Qiu Sheng

C’est l’une des plus rayonnantes révélations de l’année. Découvert à Locarno cet été et sélectionné cette semaine au Festival New Directors New Films, le Chinois Qiu Sheng signe avec Suburban Birds un film au croisement entre Hong Sangsoo, Apichatpong Weerasethakul et le meilleur du jeune cinéma chinois d’auteur actuel. Un ingénieur y arpente, pour son travail, une banlieue vide au cœur de laquelle il va tomber sur le journal d’un jeune garçon. Le résultat est poétique, mystérieux et étonnant. Qiu Sheng est notre invité…

Quel a été le point de départ de Suburban Birds ?

Le film est lié à mes années de jeunesse et d’adolescence. Je me suis inspiré de la véritable disparition d’un enfant qui a eu lieu quand j’étais plus jeune, et des recherches qui ont suivi. Lorsque j’ai décidé d’écrire sur ce sujet, mes souvenirs étaient à vrai dire assez vagues. J’ai décidé de voir comment les choses se sont vraiment déroulées, et je me suis questionné sur ce groupe qui va se disloquer, sur la façon qu’ont les sentiments d’évoluer au sein du groupe.

Pour la partie concernant les adultes, mon inspiration principale a été Le Château de Kafka. C’est l’histoire d’un homme qui cherche sans succès à rencontrer son employeur afin de prendre ses fonctions. Le protagoniste de Suburban Birds a un emploi, mais il baigne dans un ennui absolument fastidieux.

Diriez-vous que Suburban Birds est un film sur l’enfance ?

Sur l’enfance oui. Et sur l’apprentissage, c’est une coming-of-age story.

Où le présent semble sans cesse lié au passé…

Oui, je me suis intéressé à la façon dont ce qui arrive durant l’enfance peut affecter durablement. Il y a un lien mystérieux entre le passé et le présent. J’ai essayé de lier les deux parties lors de l’écriture. Un peu comme avec un télescope, les histoire s’interpénètrent, c’est comme un voyage dans le temps.

Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être à première vue dans votre film. Je pense au chant d’oiseaux qui est en fait une sonnerie de portable, je pense aussi au tout début du film. Était-ce important pour vous de ménager des surprises et faire que le spectateur perde ses repères ?

Oui, et ce que vous évoquez au sujet de la sonnerie de portable reflète une situation réelle et courante dans les villes. On mime la nature dans un monde qui est faux. Je voulais montrer cela, et je tenais également au mystère. Je ne souhaitais pas donner au public toutes les réponses : je préfère que les spectateurs sortent du film avec des questionnements.

Il y a d’ailleurs dans Suburban Birds un personnage voulant « découvrir tous les secrets du monde ». Alors que votre film est rempli de mystère.

Si je connais une chose très clairement, alors je ne la filme pas. Si je la connais déjà, pourquoi la partager avec le public ? Je veux montrer ce que je ne sais pas et réfléchir à des réponses.

Pouvez-vous nous parler de ce titre, Suburban Birds ?

Le titre international est la traduction littéral du titre original. Cela se réfère à un groupe d’oiseaux qu’on ne trouve pas dans les forêts, pas dans un habitat naturel. Ils vivent en villes, sont à la fois apprivoisés et sauvages. Ils étaient de trouver une place, vivant dans un état d’anxiété et d’errance.

Les lieux sont filmés de manière remarquable dans votre film. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet aspect ?

J’ai écrit sur des lieux réels. Après un premier jet, j’ai fait des recherche et j’ai affiné l’écriture en fonction. Je cherchais des endroits vides et d’une certaine manière inutiles. Ils sont le fruit de la construction rapide des villes en Chine. Et cela pose des questions intéressantes comme « comment communique t-on dans de tels lieux ? ». En ce qui concerne la partie sur les enfants, j’étais davantage sur des lieux de vie. Dans mes souvenirs, la ville n’était pas aussi nettement séparée de la nature qu’aujourd’hui.

Suburban Birds est visuellement superbe. Comment avez-vous travaillé avec votre directeur de la photographie sur le traitement formel ?

Ranjun Xu et moi travaillons ensemble depuis des années. Nous avons eu de longues discussions avant le film.  Nous voulions rendre ce que nous filmions à la fois charmant et claustrophobique. Nous avons décidé d’utiliser des zooms pour mettre en valeur l’artificialité du monde. Le travail sur les lumières, lui, était assez simple et épuré. Nous n’avions jamais plus de trois sources d’éclairage par scène.

Votre film m’a évoqué sur certains éléments les cinémas de Hong Sangsoo et d’Apichatpong Weerasethakul. Est-ce que ce sont des cinéastes que vous admirez ?

Oui, je les adore tous les deux. J’ai beaucoup appris de Hong Sangsoo sur sa façon d’utiliser le zoom, mais aussi sur sa manière de décrire les relations humaines. Et d’Apichatpong Weerasethakul, j’adore sa façon de structurer le temps et l’espace.

Aviez-vous d’autres influences en tête pour ce film ?

J’ai pensé à Marcel Proust à La Recherche du temps perdu. Il y a cette phrase en particulier : « les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus ». J’ai été touché par cette phrase comme par tout le texte. J’ai voulu décrire cela, voir comment s’approcher de ce paradis.

Avez-vous déjà un nouveau projet ?

Je travaille sur un projet intitulé The Holy Dog et dont le héros est un jeune homme. Il erre dans la ville après la perte de son père. Il rencontre un chien qui semble habité par l’esprit de son père.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose de neuf au cinéma ?

J’ai adoré Sophia Antipolis de Virgil Vernier. Et sa façon d’être au croisement de Godard et Rivette.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 11 octobre 2018. Un grand merci à Charlotte Forbras.

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