Entrevues Belfort | Critique : Roman national

Ce montage de vifs échanges entre jeunes gens via le chat vidéo Periscope passe de la futilité à l’inquiétude lorsqu’une actualité tragique perturbe le quotidien ludique du selfie.

 

Roman national
France, 2018
De Grégoire Beil

Durée : 1h05

Sortie : –

Note : 

SELFIE DE GROUPE

Roman national est un film de montage, composé uniquement d’extraits de chats vidéos glanés durant un été sur l’application Periscope. Les images sont ici rendues telles quelles, avec leurs gros pixels, avec les petits cœurs qui apparaissent à droite comme sur un écran de téléphone, avec les commentaires en langage sms et leur farandole de fautes d’orthographe. Des vignettes à la fois triviales et intimes, comme il en existe des milliards. Des scénettes qu’on pourrait croire dérobées, et qui sont pourtant laissées à la portée de tous. Pas besoin d’effet de mise en scène supplémentaire: en montrant sur grand écran ces images que l’on ne voit d’habitude que brièvement au creux de nos mains, le réalisateur Grégoire Beil leur donne d’emblée une puissance folle. Sous cette loupe gigantesque, le quotidien le plus banal devient du jamais vu.

A quoi sert Periscope? Pour les jeunes utilisateurs montrés dans le film, c’est d’abord un moyen de tromper l’ennui estival. On y commente les programmes télé, on y parle à tort et à travers pour combler le vide comme on peut. Periscope permet surtout de se filmer. Les corps sont court vêtus au bord des piscines et on y fanfaronne à l’image comme à l’écrit, à coups de nonchalance sexy et de plans dragues minables tels que « T’as des yeux de braise qui me rendent merguez« . C’est alors que, d’une certaine façon, Periscope devient un outil de mise en scène: mise en scène de soi quand on se montre sous son meilleur jour (gros dur, forte tête), et mise en scène du réel autour de soi, quand des gamines se croient en plein épisode d’X-Files parce qu’elles ont soit-disant vu un truc bizarre dans une mare.

En filigrane de ces échanges brefs et vifs, il se crée peu à peu une une passionnante mosaïque ainsi qu’un curieux discours commun sur le vivre-ensemble. Du haut de leurs 16 ou 18 ans, ces gamins croient avoir compris, et dans un langage à la violence banale, expliquent gentiment que « les autres », c’est tous les mêmes, qu’ils s’agisse des mecs, des meufs, des arabes, des homos, des français, des gros ou des juifs. Cela pourrait être anxiogène au possible s’il n’y avait pas une grande place laissée à l’humour. Non pas que le regard du réalisateur soit moqueur, c’est plutôt qu’il se dégage malgré tout une certaine légèreté de cette roublardise vantarde, dont finalement personne n’est dupe. Malgré les insultes ici ou là, le ton est étonnamment bienveillant.

Quand le réel le plus tragique fait soudain irruption dans le film (d’une manière que nous ne dévoilerons pas), les balbutiements idiots se tarissent peu à peu. Ces jeunes qui jouaient à se monter les uns contre les autres vont se retrouver unis dans la sidération et, dans l’une des séquences les plus stupéfiantes du film, unis dans une minute de silence laissée ici dans son intégralité. Les téléphones restent allumés, mais n’ont plus rien à enregistrer qu’un recueillement muet, une bouleversante communion qui ne demandait qu’à avoir lieu. Là encore, du jamais vu.

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par Gregory Coutaut

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