A voir en ligne | Critique : Rojo

Argentine, 1975. Claudio, avocat réputé et notable local, mène une existence confortable, acceptant de fermer les yeux sur les pratiques du régime en place. Lors d’un dîner, il est violemment pris à parti par un inconnu et l’altercation vire au drame. Claudio fait en sorte d’étouffer l’affaire, sans se douter que cette décision va l’entraîner dans une spirale sans fin.

Rojo
Argentine, 2018
De Benjamin Naishtat

Durée : 1h49

Sortie : 03/07/2019

Note : 

LA LIGNE ROUGE

« Créer un dispositif bizarre pour raconter le réel ». C’est par ces mots que Benjamin Naishtat présentait son travail, lorsque nous l’avions rencontré lors de la sortie de son premier film. Dans Historia del miedo (sorti en 2014), le questionnement politique était déjà soumis à une narration singulière et théorique. Cette fois encore, Naishtat expérimente autour des genres cinématographiques mais à la place d’une hybridation entre film d’horreur et art vidéo, il joue cette fois avec les attentes d’un genre plus immédiatement familier : le film policier. De fait, Rojo est plus accessible qu’Historia del miedo.

Si le lieu où l’action se déroule est volontairement tu (« une banlieue en Argentine »), l’année (1975) est en revanche le premier mot qui apparaît à l’écran. Le travail de reconstitution est partout à l’image : dans les téléphones à cadran, les puzzles accrochés au mur en guise de décoration, où dans une partie de Risk en famille. Elle est aussi présente dans une mise en scène qui assume généreusement son artifice formel : zooms, fondus enchaînés, ralentis flous, etc. Mais Rojo ne se limite pas à un exercice de style.

Ainsi, on est loin d’avoir fait le tour de ce que le film a à offrir formellement. C’est un film noir au couleurs dingues. Le rouge bien sûr, mais aussi le jaune crasseux. Les couleurs déformées d’une éclipse, ou celles flamboyantes d’un coucher de soleil qui n’en finit pas. Narrativement, c’est aussi un film noir aux tons (oui, au pluriel) quand même bien singuliers. Là encore, le registre de la comédie policière a l’air familier, grâce notamment à un personnage de détective aux traits quelque peu forcés, mais paradoxalement, cet humour participe plutôt à une étrange perte de repères.

A l’image de la mystérieuse scène d’ouverture (un plan fixe sur une villa abandonnée), Rojo donne l’impression de pouvoir basculer aussi bien vers le rire que la violence. Ainsi, il est ici beaucoup question de personnes qui disparaissent et réapparaissent, dans la rue, dans le désert, pendant un tour de magie ou suite à des menaces. Faut-il s’en inquiéter ? Dans chaque cas, la peur s’accompagne d’un arrière-goût absurde et bouffon, qui fait qu’on ne sait pas trop sur quel pied danser, jusqu’au malaise.

« Je voulais privilégier la sensation, parce que la politique se retrouve aussi dans la sensation, dans le ressenti quotidien »  nous disait Benjamin Naishtat. En faisant mine de nous faire rire, il nous inquiète. En faisant mine de mettre énormément de distance – via cette mise en scène non-réaliste – par rapport à son sujet, il nous renvoie à sa modernité. Il y a quelque chose de pourri dans ce monde qui implose dans la méfiance, dans cette Argentine paranoïaque et corrompue des années 70, mais ce dont parle Rojo, c’est avant tout de nos sociétés d’aujourd’hui.


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par Gregory Coutaut

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