A voir en ligne | Critique : Mon frère s’appelle Robert et c’est un idiot

Quarante-huit heures d’un été étouffant qui va peu à peu glisser vers l’enfer. Pour les jumeaux Robert et Elena, quarante-huit heures pour enfin rompre avec l’enfance. Un week-end dédié au temps, à l’amour, au sexe et la philosophie.

Mon frère s’appelle Robert et c’est un idiot Allemagne, 2018
De Philip Gröning

Durée : 2h53

Sortie : 27/03/2019

Note : 

LA TRAVERSÉE DU TEMPS

Mon frère s’appelle Robert et c’est un idiot est le genre de film qui pousse mémé dans les orties pendant trois heures, et qui la repousse encore lorsque celle–ci parvient à se relever. C’est un avertissement, et c’est entre autres l’absence de concession confortable faite au spectateur qui rend le long métrage de l’Allemand Philip Gröning fascinant. Mon frère s’appelle Robert raconte deux jours dans l’été de deux jumeaux qui semblent vivre totalement coupés du monde. C’est une carte postale de paradis perdu que Gröning paraît d’abord filmer. Mais si la nature semble d’une beauté renversante, que la caméra s’attarde sur les champs de blé à perte de vue et se plonge parmi les jolis coquelicots, ce paradis n’est pas si pur. Au bout de quelques plans, on découvre au loin une route et des voitures qui passent, indifférentes. Le frère et la sœur plus tard sont longuement allongés dans l’herbe, mais ce qu’on prend pour un éden se trouve en face d’une station essence pourrie.

Il y a énormément de beauté dans Mon frère s’appelle Robert et c’est un idiot, une beauté brute et puissante, mais le film parle avant tout de sa détérioration. Le jardin de Robert et Elena est envahi par les insectes, ils laissent des boutons sur le dos du frère et grignotent les fruits à terre. Plus tard, c’est un lapin qu’on retrouve mort dans les bois et la caméra sensible s’attarde sur le vent qui agite encore sa fourrure. Mon frère s’appelle Robert et c’est un idiot est un long métrage sur la perte de l’innocence, un sujet qui peut prendre bien des formes et que le cinéaste explore ici avec l’ambition d’un film–monde.

Le temps et la façon dont Gröning l’utilise est pour beaucoup dans ce sentiment de film–monde. Mon frère s’appelle Robert et c’est un idiot est un film sur le temps, l’épreuve du temps, l’attente, et le temps semble même figuré de manière concrète lorsque l’ombre des éoliennes à l’image ressemble au mouvement des aiguilles d’une montre géante sur les champs. Les scènes s’étirent, se répètent, se perdent, les protagonistes se dédoublent à l’image, parfois disparaissent mystérieusement. Le film est épuisant et c’est aussi son challenge dans ce récit où les enfants grandissent et où le temps inarrêtable va les séparer.

Elena se prépare avec son frère pour un concours de philosophie. Le film est rempli jusqu’à ras bord de citations philosophiques, pense, dit et réfléchit Platon ou Heidegger. Mais le propos philosophique au premier degré est aussi une mélopée abstraite. L’accumulation rappelle la langue déstructurée employée par le théâtre de l’absurde. L’engagement physique des comédiens en contrepoint lorgne vers la performance. Il y a quelque chose de très concret et très allégorique ici, de très littéraire et de très physique dans ce film qui n’est jamais une seule chose à la fois.

C’est ce qui donne à Mon frère s’appelle Robert sa grande dimension poétique, sa musicalité, et ça n’est pas pour rien que le long métrage évoque l’accumulation des sons et la construction de la mélodie dans une scène clef. On cite du Heidegger comme on pourrait citer du Paul Claudel ; ces adolescents rappellent à l’autre bout du monde les jeunes gens du cinéma de Wakamatsu, ceux de Va va vierge pour la deuxième fois, et leur logorrhée poétique créant peu à peu un effet hallucinatoire. Le film travaille cet épuisement mais ménage aussi des percées oniriques. Il est dur et âpre mais a aussi en lui une dimension de jeu comme autant de rituels. Peu à peu, les héros perdent pied avec la réalité (croit–on). Un Kinder surprise peut bien être un trésor, un flingue un simple jouet. Mais perdent–ils vraiment le sens du réel ? Car ce basculement progressif vers la folie et la violence est finalement raconté comme un basculement inexorable vers l’âge adulte et son effroi. Cette odyssée a lieu sur un tout petit espace, un temps très réduit, mais le voyage semble aussi immense que l’ambition de ce long métrage fou.


>> Mon frère s’appelle Robert et c’est un idiot est disponible jusqu’au 26 mars sur le replay d’Arte

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article