Critique : Eva

Tout commence par une tempête de neige. Eva, troublante et mystérieuse, fait irruption dans la vie de Bertrand, écrivain prometteur. Cette rencontre va bouleverser Bertrand jusqu’à l’obsession et le fera glisser jusqu’à sa perte.

Eva
France, 2018
De Benoit Jacquot

Sortie : 07/03/2018

Note : 

Un homme manipulateur rencontre une femme sexy. Il fantasme sur elle, veut la posséder, échafaude une stratégie pour la rendre folle de lui mais se retrouve pris à son propre piège (forcément puisque cette femme c’est Isabelle Huppert, serait-on tenté de dire). Ce schéma archétypal (et pathétique, on y reviendra) était déjà celui de Eva, l’original : celui de Joseph Losey avec Jeanne Moreau dans le rôle-titre. 56 ans après, c’est à la reine Huppert d’enfiler la tenue de cette mystérieuse prostituée, femme fatale malgré elle. L’histoire reste à peu près la même, mais le point de focalisation a changé. L’original racontait en effet moins l’histoire d’Eva que l’histoire de son protagoniste, l’histoire de sa fascination. Benoit Jacquot semble suivre la même piste narrative, mais sa propre fascination pour son actrice fétiche déborde rapidement, pour notre plus grand plaisir.

Un film peut-il être transcendé par un acteur ou une actrice ? Il y a un certain nombre de défauts qui tachent dans ce remake, dans lequel on peine à retrouver l’urgence de la mise en scène des meilleurs films de Jacquot (et qui font notamment tout le sel de ses films en costume). A vrai dire on se croirait plutôt devant un Chabrol pépère et terne, avec son coté téléfilm régional (ses secrets bourgeois, ses casinos de province, ses TGV trop terre-à-terre). Pour un film centré sur des personnages supposément vénéneux, on est loin de l’opulence nécessaire. C’est alors que débarque la Huppert. Elle ne sauve pas le film entier, mais sauve ses scènes. Et pour ses admirateurs, c’est un mini-festival : Isabelle minaude (très bien, évidemment), Isabelle chante (pas très bien), Isabelle picole et parle en dormant, Isabelle râle dans son bain de mousse. Plein de gif en puissances.

Le personnage d’Ulliel, dramaturge raté, rêve d’écrire au troisième degré : de dépasser les archétypes et l’ironie pour atteindre une forme de sincérité. Qu’est-ce qui coince à ce point que pour que Jacquot ne parvienne jamais à décoller du stade des stéréotypes ? Comme devant D’après une histoire vraie de Polanski, avec qui Eva a plus d’un écho, on aimerait que la perversion promise soit plus assumée, plus flamboyante. Avec un tel postulat de départ, on rêverait de savoir ce qu’aurait pu faire un cinéaste possédant plus de malice, d’humour méchant. Pour vraiment clouer au pilori son protagoniste minable qui se croit plus fort que les femmes, il faudrait un cinéaste qui soit encore plus du côté des femmes, qui pousserait encore plus loin la fascination pour son actrice. Pour un résultat plus diva queer et moins hétéro-Collaro Show. Ozon l’aurait compris. Huppert (seule du casting à atteindre ce fameux 3e degré, et à manier l’ironie) l’a bien compris aussi. Mais le film est terminé depuis longtemps et Jacquot semble encore hésiter sur la question.

par Gregory Coutaut

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