Critique : Une affaire de famille

Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…

Une affaire de famille
Japon, 2018
De Hirokazu Kore-Eda

Durée : 2h01

Sortie : 12/12/2018

Note : 

UNE FAMILLE HEUREUSE

Dans une scène marquante de Notre petite sœur, qu’il a réalisé en 2015, le Japonais Hirokazu Kore-Eda filmait un superbe feu d’artifice. Mais plutôt que de filmer les gerbes de couleurs dans le ciel, la caméra restait concentrée sur les reflets de ces éclats colorés sur le monde : sur l’eau, sur la terre, et avant tout sur les visages de ses personnages. Une scène, superbe là encore, cite ce moment dans Une affaire de famille, nouveau long métrage du cinéaste. La grand-mère boit tranquillement sa bière à l’extérieur de la maison, des détonations retentissent : un feu d’artifice est tiré. On ne le verra jamais, et là encore la caméra reste fixée sur les visages, sur la famille – c’est le véritable feu d’artifice auquel nous sommes ici conviés.

On peut avoir de Kore-Eda une vision assez classique dans sa façon de dépeindre la famille japonaise au fil de ses longs métrages. Pourtant, à de nombreuses reprises, le réalisateur a questionné la structure familiale traditionnelle. Dans Nobody Knows, des enfants reconstituent leur propre organisation familiale en l’absence de parents. Dans Tel père, tel fils, un échange d’enfants remet en question les valeurs familiales. Dans Notre petite sœur, une demi-sœur s’invite comme une pièce supplémentaire dans un puzzle qu’on pensait complet. Si certains de ses films, comme Still Walking, font de la famille un portrait plus classique, celle-ci est rarement figée dans les conventions chez Kore-Eda. C’est à nouveau le cas ici avec cette famille qui recueille une gamine abandonnée et en fait sa fille : une famille qui se choisit ne vaut pas moins qu’une famille de sang.

Tel père, tel fils questionnait déjà la nature de la famille, ce qui fait de soi un père dans ce récit abracadabrantesque d’échange de bébés à la naissance. C’est une réflexion poursuivie ici, avec la douceur et la délicatesse que l’on connaît du cinéaste. Cette subtilité n’empêche pas de dire les choses telles qu’elles sont. Elles ne lissent pas le sujet, et dans Une affaire de famille, on peut facilement glisser des apparences kawaii à quelque chose de plus sordide. Le film fait le portrait puissant d’une société qui ne fait strictement rien pour ses marginaux et n’est capable que de les juger. On peut avoir une idée très japonaise du cinéma de Kore-Eda, mais ce thème-ci pourrait être traité exactement de la même façon en France. L’universalité des thèmes de son cinéma est une autre de ses très grandes forces tranquilles.

Dans leur bicoque pourrie, à l’ombre des grands arbres, tandis qu’au loin résonne le tumulte des pachinkos, cette famille-là pourtant s’épanouit. Kore-Eda donne à voir son quotidien avec un sens du détail et une grâce qui lui sont propres. Il y a une finesse d’écriture mais aussi une finesse de mise en scène à saisir ces riens qui composent un portrait complexe et bouleversant. Le film a reçu la Palme d’or et, au-delà des qualités d’Une affaire de famille, il est rafraîchissant de voir un prix important récompenser un cinéaste qui ne réclame pas sa Palme à chaque plan, en tapant du poing et du pied. La façon de faire de Kore-Eda est toute autre. Est-ce de l’humilité, du minimalisme ? Pourtant, lorsque ses jeunes héros contemplent l’intérieur d’une bille, c’est un univers entier qu’ils y voient.

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par Nicolas Bardot

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