A voir en ligne | Critique : Grass

Dans un café où les gens vont et viennent, une serveuse est très attentive à ses clients, à leur interaction et à leurs pensées…

Grass
Corée du sud, 2018
De Hong Sangsoo

Durée : 1h06

Sortie : 19/12/2018

Note : 

SUICIDE CLUB

« Comment ça va depuis la dernière fois qu’on s’est vu? » « Ben j’ai picolé ». Ça ne va pas mieux pour les personnages de Hong Sang-Soo, une fois de plus coincés entre ideaux sentimentaux et alcool paliatif. Ce dialogue d’introduction a beau être très familier, Grass (qu’on aurait bien imaginé s’appeler Grâce) est comme tous les autres films de Hong Sangsoo: il est unique. L’univers du cinéaste a beau être fait de motifs récurrents, chacun de ses films possède sa propre singularité, une bizarrerie bien lui. Et de l’étrangeté Grass en a à revendre. Les cœurs purs et fragiles s’y fracassent contre le réel avec d’étonnants remous.

Grass n’a pas d’histoire, mais plein d’histoires. Kim Minhee, cliente d’un petit café local, aime écouter les autres consommateurs en cachette. Mais les scènes auxquelles elle assiste, et dont elle dit s’inspirer pour écrire, ont-elles véritablement lieu ou bien sortent-elles de son esprit? Il faut guetter les quelques mouvements de caméra qui la font rentrer ou sortir du cadre: le réel vient-il nourrir son imagination, ou est-ce l’inverse? Disputes, réconciliations, mises au point cinglantes: ces situations de couple ont beau être filmées avec la plus grande sobriété, elles se révèlent particulièrement mélodramatiques.

On s’y accuse de choses terribles, on y imagine des manipulations perverses, on raconte les pires des errances au dessus d’un thé glacé. Le tout accompagnée par la musique classique, tantôt larmoyante tantôt carnavalesque, diffusée par la radio. Des morceaux à l’emphase disproportionnée, qui donnent un relief tranchant à l’habituelle ironie amusée du cinéaste.

Aucun de ces clients ne semble mener une vie normale. Tous sauf Kim Minhee (une fois de plus formidable dans un rôle pourtant moins facilement aimable), à qui on reproche justement son manque de fantaisie. « Comment pourrait-on tout connaître? » se demande celle qui voudrait tout comprendre à l’amour. Pourtant, lorsqu’un couple d’anonymes pose en tenue traditionnelle de mariage, cela n’est vu que comme mascarade dont personne n’est dupe, sur laquelle on se retourne à peine.

Mais si Grass est un jeu narratif conceptuel souvent drôle et cruel, il en nait pourtant une émouvante mélancolie. Dans une scène courte mais stupéfiante, une jeune femme monte un escalier mais redescend aussitôt, comme si elle avait oublié quelque chose, elle remonte finalement, puis redescend, et ainsi de suite, prise dans une boucle d’indécision qui la met en joie. Les amoureux de Grass ne vont nulle part sinon dans le mur, mais l’important est de se convaincre d’en avoir décidé ainsi, de maitriser la situation.

Il y a un spleen bien particulier qui plane décidément au-dessus de ce drôle de café, dont on ne voit jamais le gérant ou les serveurs. Isolé dans une vieille ruelle, l’établissement est comme coupé du monde, uniquement fréquenté par des habitués qui pourtant ne connaissent pas du tout le quartier. Aucun d’entre eux ne semble avoir quelque chose d’anodin ou léger à raconter, tous leurs parcours tournent autour de la mort ou du suicide. Celui des autres ou peut-être bien les leurs. Le temps d’une scène étonnante, l’un d’entre eux se retrouve d’ailleurs réduit à une ombre sur un mur, une ombre qui ne cesserait de ressasser la même histoire. Le monde de Kim Minhee ressemble aux limbes, c’est comme si tout le monde y était déjà mort. Comme si elle était elle-même, sans le savoir, un spectre parmi les spectres.


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par Gregory Coutaut

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