A voir en ligne | Critique : An Elephant Sitting Still

Au nord de la Chine, une vaste ville post-industrielle et pourtant vide, plongée dans un brouillard perpétuel qui semble piéger ses habitants. Un matin, une simple altercation entre deux adolescents dans un lycée dégénère et va souder les destins de quatre individus brisés par l’égoïsme familial et la violence sociale. Une obsession commune les unit : fuir vers la ville de Manzhouli. On raconte que, là-bas, un éléphant de cirque reste assis toute la journée, immobile…

An Elephant Sitting Still
Chine, 2018
De Hu Bo

Durée : 3h50

Sortie : 09/01/2019

Note : 

LA RONDE TRISTE​

La vie, ça ne va pas s’arranger, c’est une longue agonie et c’est tout”. Pas un seul personnage ne sourit durant les 3h50 de l’impressionnant An Elephant Sitting Still. 3h50 plongées dans le smog, où une poignée de personnages cherchent une sortie de secours. Une issue à leur vie sans horizon, à leur ville où même l’école ne sert à rien, à leurs appartements où l’odeur étouffante semble venir à la fois de dehors et de dedans. Un monde qu’on dirait post-apocalyptique, à fuir à tout prix. L’éléphant du titre, c’est peut-être cette chape de plomb qui les cloue au sol, mais c’est surtout une légende qui leur apporte un début d’espoir. On raconte que quelque part dans la campagne chinoise, un pachyderme sauvé d’un crique s’est retiré du monde et reste assis à méditer. Presque à portée de rêve, la promesse d’être enfin délivré des tourments extérieurs. Alors même qu’aucun ticket de train ne semble être le bon pour pouvoir quitter la ville…

An Elephant Sitting Still possède sa structure narrative propre: privilégiant les face-à-face plutôt que les scènes de groupe, enchainant les confrontations non résolues, tournant presque en rond à l’image de ses personnages. Poussés à agir pour leur propre intérêt, ceux-ci vont se retrouver pris dans une sorte de ronde entêtante, chacun endossant tantôt le rôle de victime ou celui de coupable. Ce cercle vicieux de répétitions pourrait menacer de rendre l’ensemble frustrant – gris et pesant comme un éléphant, serait-on tenté de dire. Ce serait sans compter la mise en scène virtuose de Hu Bo, qui décolle du réel et nous emporte avec.

Si tu ne comprends pas la poésie, tu as déjà perdu la moitié de ta vie“ prévient l’un des personnages. Mis en scène comme un film social lambda – comme il en existe déjà trop – An Elephant Sitting Still étoufferait sous les couches de déprime. Or, celles-ci sont ici transcendées par une caméra particulièrement fluide, qui se faufile toujours près des visages de ses protagonistes, fait le point sur eux tout en rendant l’arrière-plan flou, presque inexistant. Un effet vertigineux et saisissant, à la fois bouleversant et d’une modernité radicale.

An Elephant Sitting Still était à l’origine un roman, également signé Hu Bo, qui avait fait pas mal parler de lui à sa sortie en Chine. En s’adaptant lui-même, le cinéaste signe une œuvre sans concession, et dresse le portrait d’une société à l’égoïsme glaçant. Un monde où le suicide est omniprésent, mais où l’espoir existe, même s’il ne se conquiert qu’à la sortie d’un éprouvant labyrinthe. Hu Bo signe surtout son unique film – il s’est en effet suicidé l’an dernier, avant même que son film ne soit vu. An Elephant Sitting Still, s’impose comme un nouveau météore venu du cinéma chinois contemporain, décidément l’un des plus passionnants du monde.


>>> An Elephant Sitting Still est visible en vod sur FilmoTV

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par Gregory Coutaut

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