Festival Chéries-Chéris | Critique : Yours in Sisterhood

Quelle est la réponse du féminisme d’aujourd’hui à celui des années 70 ? Des femmes de tous horizons sont invitées à lire à haute voix et à répondre à des lettres envoyées par des lectrices, dans les années 70, au magazine Ms. Magazine, première parution mainstream dédié au féminisme.

 

Yours in Sisterhood
Etats-Unis, 2018
De Irene Lusztig

Sortie : –

Note : 

SPEAK UP !

La démarche de Yours in Sisterhood est passionnante : faire lire à des femmes, aujourd’hui, des lettres envoyées dans les années 70 à Ms Magazine, première parution américaine mainstream dédiée au féminisme. Ces nombreuses lettres utilisées dans le film, signées par des femmes, sont, pour l’écrasante majorité, restées non publiées, mais archivées. La documentariste britannique Irene Lusztig (lire notre entretien) les a exhumées : des lettres de réactions, des questionnements, des témoignages. Qu’est-ce que le féminisme d’aujourd’hui a à répondre à celui d’hier ? Qu’est-ce que les femmes d’aujourd’hui peuvent répondre à celles d’hier ?

Lusztig essaie de trouver l’écho le plus pertinent. Une lettre de femme se plaignant de discrimination à l’embauche est lue par une femme flic, celle d’une fillette rêvant de devenir présidente du pays est lue par une gamine d’aujourd’hui. Le documentaire tente de mesurer le chemin parcouru… ou le statu quo. « Les gens partent du principe que les choses vont mieux mais ce n’est pas toujours vrai ». Le temps est-il nécessairement favorable au progressisme ? Le constat de Yours in Sisterhood est à la fois terrible (bien des questions restent d’actualité) tout en ne rendant qu’encore plus pertinente la fine démarche de la cinéaste.

Fine car le film a plus d’un tour dans son sac. Comme on l’entend dans Yours in Sisterhood, il y a bien des façons d’être féministe. Le doc évoque entre autres les femmes noires exclues du féminisme blanc, ou laisse place à des témoignages surprenants comme cette croyante anti-avortement mais qui se réclame du féminisme ou cette autre qui confie être pro-armes. En creux et en cumulant toutes ses différentes vignettes, le film dessine une convergence des luttes, femmes blanches et femmes noires, personnes cis ou transgenres. En évitant autant que possible le locker room bullshit.

A l’image du récent Français Ouvrir la voix avec lequel il partage bien des points communs, Yours in Sisterhood est un film sur la parole et plus particulièrement sur la prise de parole. Celle demandée par des femmes hier, laissée sans réponse par le magazine. Celle reprise par des femmes aujourd’hui – pour certaines, et avec une émotion particulière, celles-là même qui ont écrit la lettre et que la réalisatrice a retrouvées. « Parler est incroyablement dur mais c’est le seul moyen de se sentir libre ».

Speak Up ! : Irene Lusztig applique le hashtag à la lettre dans ce puissant geste politique de donner la parole à toutes – même les femmes invisibles enfermées en prison. Les femmes parlent et il n’y a qu’elles ou presque à l’écran ; on attend des hommes qu’ils prennent leur responsabilité. Car ce n’est pas que d’une histoire des femmes qu’il est question mais aussi celle d’un pays – de Karen Silkwood à Linda Lovelace en passant par Deena Metzger, des réunions du KKK aux violences policières. Ces lettres ont 40 ans ? Yours in Sisterhood est pourtant brûlant, d’une passionnante acuité, et devrait être diffusé dans toutes les écoles.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article